Après avoir exposé le regard de David Sala (cf. "La Belle, la Bête et David Sala") sur le conte de Madame Leprince de Beaumont, je vais maintenant m'intéresser à celui de l'illustratrice Angela Barrett. Cette version du conte a été publiée sous la forme d'un album aux États-Unis avec un texte remanié par Max Eilenberg. Si l'histoire reste la même, elle est un peu étoffé dans le sens où nous connaissons le nom de la famille du marchand ainsi que le prénom de ses trois filles. A part ça, on colle vraiment au conte d'origine.
Le château de la Bête
La demeure de la Bête s'étale sur cette double page, un moyen de rendre compte de sa grandeur et de la richesse de son propriétaire. La façade est grise mais la lumière brille à l'intérieur : un clin d’œil à son habitant solitaire ? J'ai envie de penser que oui ! Face à cet édifice grandiose, la silhouette solitaire du cavalier semble minuscule... sans le savoir, il est à la merci de la Bête.
Pour une rose...
Puisque la plus jeune de ses filles lui a demandé une rose, le marchand en cueille une dans le jardin de son hôte inconnu. Mais la Bête prend cette liberté pour un affront après l'hospitalité qu'il a offert à l'homme. Il y a de la violence dans cette confrontation. L'image est figée mais on sent le mouvement dans la queue de la Bête, la neige qui vole, le chapeau du Père qui tombe alors qu'il est agrippé par le col. La gueule ouverte, dents apparentes, la Bête toise l'homme qui paraît alors particulièrement frêle.
Le contraste est saisissant entre cette illustration et la précédente. Face à la Belle, l'attitude de la Bête n'est plus du tout la même. On voit toujours ses dents -mais ça le pauvre, il n'y peut rien- mais ses pattes sont le long de son corps, les mains presque derrière le dos, la queue au sol : toute son attitude semble calme, assagie. Malgré les crocs proéminent, aucune impression de danger ne se dégage plus de lui. Et contrairement à son Père, dont l'attitude est un mouvement de recul -forcément vu le contexte- celle de la Belle est à l'opposé, elle est penchée vers la Bête.
Peu à peu, la douleur de la Bête se fait plus évidente. Chaque soir, il demande la Belle en mariage et chaque soir elle lui refuse sa main. Et cela lui brise le cœur car si elle ne peut encore l'aimer, la Belle s'est prise d'affection pour cette Bête dont elle perçoit le terrible chagrin. Sur cette planche, la Bête semble faire partie des pensées de la Belle, de ses rêves. Tête basse, dos voûté, il quitte la Belle, accablé par le sort qui est le sien.
La Belle a promis de revenir au bout d'une semaine après que la Bête lui ait permis de retrouver son père,souffrant. Mais, jalouses de leur sœur, les deux aînées des filles font en sorte qu'elle rompe sa promesse en restant plus longtemps. Mais, quand elle a une vision de la Bête étendue au bord de l'eau, la Belle retourne immédiatement au château. Quand la Bête ne se présente pas à l'heure habituelle, elle comprend que sa vision n'était pas qu'une vision et elle se précipité dans les jardins pour trouver la Bête. Celle-ci n'a pas bougé. Sur cette double page, il semble qu'il soit déjà trop tard pour sauver la Bête. Elle est restée étendue si longtemps dehors dans le froid qu'elle est déjà en partie recouverte de neige. On sent tout le désespoir de la Belle qui s'est jetée sur sa Bête pour la supplier de lui revenir. Sa tête contre la sienne, c'est presque déjà un baiser.
L'histoire de la Belle et la Bête finit comme elle a commencé : dans les roses. Celles-ci ne sont pas du même rouge vif que celles du début dont la cueillette a opposé la Bête au père de la Belle. D'un rose pâle, les couleurs sont plus douces, le ton est apaisé. Accompagnés de petits animaux de compagnie, la Belle et la Bête, ou devrais-je dire Prince, sont au centre d'une scène qui respire la quiétude.
J'ai beaucoup aimé cet album, et encore une fois, la scène au bord de l'eau, me touche particulièrement, comme celle de David Sala. Dans le travail d'Angela Barrett ce sont aussi les petits détails qui viennent orner les pages qui sont un régal, comme de mini scènes nous montrant la vie au palais de la Bête, sous forme de patchwork ou de frises. Et ces pièces ici et là sont très importantes car pour un album, le texte est très présent.