Bilbo

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- "Don't be alone, Doctor" : les femmes de Doctor Who

- Penny Dreadful : une nouvelle ligue de héros extraordinaires

- Tolkien et les forêts de la Terre du Milieu

- Les gentlemen en tous genres (ou pas) des sœurs Brontë

- Field of Dreams : des rêves et des hommes

- Une touche de Jane Eyre et une pincée des Hauts de Hurlevent dans la recette du Jardin Secret

- Les héroïnes en tous genres de Jane Austen

NB : Le référencement des illustrations est en cours... mais ça risque de prendre un peu de temps !

The translation of some articles into English is in progress and will soon be available.
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jeudi 28 juillet 2016

Féroce

Cette histoire de Jean-François Chabas illustrée par David Sala est parue en 2012 aux éditions Casterman. On y trouve des allusions à plusieurs contes biens connus : le Vilain Petit Canard  de Andersen, le Petit Chaperon Rouge des frères Grimm et la Belle et la Bête de Jeanne-Marie Le prince de Beaumont. Toutes ces références s'accordent dans une jolie histoire d'amitié. De plus, l'album est magnifique matériellement parlant avec son format à l'italienne et ses illustrations qui se déplient sur des doubles-pages.

Le vilain petit loup
L'histoire commence avec la naissance de Fenris, un petit louveteau au pelage rouge au sein d'une portée de petits loups blancs. Mais ce n'est pas de là que vient le problème. Le problème c'est que Fenris a l'air féroce, et ce dès la naissance. Il ne s'agit pas de comportement, seulement de son apparence. En grandissant, Fenris devient énorme, sa mâchoire aux dents acérées béante et ses yeux écarlates... Même les autres loups ont peur de Fenris et il est exclu de la meute. Alors, à force de terroriser les autres par sa seule apparence, Fenris devient réellement féroce. Sa force aurait pourtant pu faire de lui un grand chef de meute mais "il ne suffisait pas d'être fort ; il fallait être aimé, et Fenris ne l'était pas." Ainsi, il erre, hante les bois en terrorisant tous ceux qu'il croise -jusqu'à une rencontre inattendue...

La petite fille en rouge
Le texte de Chabas ne précise pas que la petite fille est en rouge mais c'est ainsi que Sala la représente. Ceci permet d'établir un parallèle entre les deux personnages puisque le fourrure de Fenris est décrite comme pourpre -et c'est aussi l'occasion d'un clin d'oeil au conte du Petit Chaperon Rouge : une autre rencontre dans les bois, mais avec une fin bien différente... En effet, si Fenris est devenu féroce comme on l'accusait simplement à cause de son apparence, tout va changer grâce à cette rencontre car la petite fille aura une regard différent. D'abord, Fenris s'approche doucement dans le dos de la petite fille, savourant déjà sa terreur à venir... mais la rencontre ne se déroule pas comme Fenris le croyait et il a veau montrer les dents, lancer des éclairs de ses yeux écarlates, rien n'y fait : elle n'a pas peur de lui !

La belle et la bête
Non, elle n'a pas peur car elle ne le juge pas à sa seule apparence. Elle attribue ses yeux rouges à de la conjonctivite et tente même de l'examiner. Elle ne lui montre que gentillesse et affection. Et, Fenris est si peu habitué à une telle réaction qu'il ne sait comment réagir, acceptant cette démonstration d'amitié accidentellement ! Mais cette rencontre lui fait voir qu'il peut être autre chose que féroce car il y a bien quelqu'un qui ne le voit pas comme ça d'emblée... et c'est e début d'une longue amitié et d'une légende : celle d'une jeune fille et d'un loup qui parcourent les bois ensemble, des mais pour la vie...
"Ils marchent de concert, du pas de ceux qui ont très longtemps cheminé ensemble ; parfois la jeune fille s'appuie contre l'encolure du loup, parfois c'est le loup qui vient se presser contre les jambes fines de l'humaine. Ils s'accordent. Mais les gens, qui se montrent aujourd'hui bien sérieux, disent que c'est impossible. Les loups, c'est bien connu, sont si féroces."

samedi 14 novembre 2015

La Belle, la Bête et Angela Barrett

Après avoir exposé le regard de David Sala (cf. "La Belle, la Bête et David Sala") sur le conte de Madame Leprince de Beaumont, je vais maintenant m'intéresser à celui de l'illustratrice Angela Barrett. Cette version du conte a été publiée sous la forme d'un album aux États-Unis avec un texte remanié par Max Eilenberg. Si l'histoire reste la même, elle est un peu étoffé dans le sens où nous connaissons le nom de la famille du marchand ainsi que le prénom de ses trois filles. A part ça, on colle vraiment au conte d'origine.

Le château de la Bête
La demeure de la Bête s'étale sur cette double page, un moyen de rendre compte de sa grandeur et de la richesse de son propriétaire. La façade est grise mais la lumière brille à l'intérieur : un clin d’œil à son habitant solitaire ? J'ai envie de penser que oui ! Face à cet édifice grandiose, la silhouette solitaire du cavalier semble minuscule... sans le savoir, il est à la merci de la Bête.

Pour une rose...
Puisque la plus jeune de ses filles lui a demandé une rose, le marchand en cueille une dans le jardin de son hôte inconnu. Mais la Bête prend cette liberté pour un affront après l'hospitalité qu'il a offert à l'homme. Il y a de la violence dans cette confrontation. L'image est figée mais on sent le mouvement dans la queue de la Bête, la neige qui vole, le chapeau du Père qui tombe alors qu'il est agrippé par le col. La gueule ouverte, dents apparentes, la Bête toise l'homme qui paraît alors particulièrement frêle.

La Belle face à la Bête
Le contraste est saisissant entre cette illustration et la précédente. Face à la Belle, l'attitude de la Bête n'est plus du tout la même. On voit toujours ses dents -mais ça le pauvre, il n'y peut rien- mais ses pattes sont le long de son corps, les mains presque derrière le dos, la queue au sol : toute son attitude semble calme, assagie. Malgré les crocs proéminent, aucune impression de danger ne se dégage plus de lui. Et contrairement à son Père, dont l'attitude est un mouvement de recul -forcément vu le contexte- celle de la Belle est à l'opposé, elle est penchée vers la Bête.

La douleur de la Bête
Peu à peu, la douleur de la Bête se fait plus évidente. Chaque soir, il demande la Belle en mariage et chaque soir elle lui refuse sa main. Et cela lui brise le cœur car si elle ne peut encore l'aimer, la Belle s'est prise d'affection pour cette Bête dont elle perçoit le terrible chagrin. Sur cette planche, la Bête semble faire partie des pensées de la Belle, de ses rêves. Tête basse, dos voûté, il quitte la Belle, accablé par le sort qui est le sien.

La Bête se meurt
La Belle a promis de revenir au bout d'une semaine après que la Bête lui ait permis de retrouver son père,souffrant. Mais, jalouses de leur sœur, les deux aînées des filles font en sorte qu'elle rompe sa promesse en restant plus longtemps. Mais, quand elle a une vision de la Bête étendue au bord de l'eau, la Belle retourne immédiatement au château. Quand la Bête ne se présente pas à l'heure habituelle, elle comprend que sa vision n'était pas qu'une vision et elle se précipité dans les jardins pour trouver la Bête. Celle-ci n'a pas bougé. Sur cette double page, il semble qu'il soit déjà trop tard pour sauver la Bête. Elle est restée étendue si longtemps dehors dans le froid qu'elle est déjà en partie recouverte de neige. On sent tout le désespoir de la Belle qui s'est jetée sur sa Bête pour la supplier de lui revenir. Sa tête contre la sienne, c'est presque déjà un baiser.

Le mariage de la Belle et la Bête
L'histoire de la Belle et la Bête finit comme elle a commencé : dans les roses. Celles-ci ne sont pas du même rouge vif que celles du début dont la cueillette a opposé la Bête au père de la Belle. D'un rose pâle, les couleurs sont plus douces, le ton est apaisé. Accompagnés de petits animaux de compagnie, la Belle et la Bête, ou devrais-je dire Prince, sont au centre d'une scène qui respire la quiétude.
J'ai beaucoup aimé cet album, et encore une fois, la scène au bord de l'eau, me touche particulièrement, comme celle de David Sala. Dans le travail d'Angela Barrett ce sont aussi les petits détails qui viennent orner les pages qui sont un régal, comme de mini scènes nous montrant la vie au palais de la Bête, sous forme de patchwork ou de frises. Et ces pièces ici et là sont très importantes car pour un album, le texte est très présent.

dimanche 29 mars 2015

La Belle, la Bête et David Sala

David Sala
Aux origines d'un conte
Mythe, légende et folklore
L'histoire de la Belle et la Bête trouve ses origines en partie dans le mythe de l'Antiquité retraçant l'histoire d'Amour (Cupidon/Eros) et Psyché (l'Âme). Psyché est si belle qu'elle s'attire la jalousie de Vénus/Aphrodite qui envoie son fils, Amour, pour la condamner à tomber amoureuse de l'être le plus laid qu'il pourra trouver. Mais Amour est pris à son propre jeu et tombe lui-même amoureux de Psyché. A priori, pas grand chose en commun entre le dieu de l'amour et la Bête... La ressemblance entre les deux histoires se retrouve surtout dans le fait que durant la journée, Psyché -ou la Belle- erre dans un château où ses moindres désirs sont exaucés avant même d'être exprimés. L'idée du monstre est tout de même présente car quand la Belle revoit ses sœurs, celles-ci, jalouses de son bonheur, lui disent que si son amant ne se montre pas c'est certainement parce qu'il est monstrueux.
Sandrine Gestin, Mélusine
L'histoire se retrouve en Italie avec "Le Roi Porc" des Nuits facétieuses de Francesco Straparola et en Scandinavie avec "A l'est du soleil et à l'ouest de la lune" de Peter Christen Asbjornsen et Jorgen Moe. Puis, elle arrive en France pour être couchée sur le papier par Madame de Villeneuve (1740) dans La Jeune Américaine  et les contes marins puis par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1757) dans Le Magasin des enfants.
A l'occasion, les rôles de la Belle et de la Bête sont inversés. Chevalier de la Table Ronde, Gauvain a fait vœu de courtoisie et pour honorer ce vœu, il accepte la demande en mariage de la plus laide des femmes et ceci libère d'un sortilège la jolie jeune femme qu'elle renferme. La légende de Mélusine parle également d'une femme monstrueuse puisque, punie, elle est condamnée à être serpente à partir de la taille chaque samedi. Elle, en revanche, ne sera pas sauvée par son amour...
Héritage et influences
La Belle et la Bête de Cocteau
Le conte en aura inspiré plus d'un : film, dessin animé, série... Il y aura eu Jean Cocteau (1946) bien sûr et plus récemment la version mettant en scène Vincent Cassel et Léa Seydoux (2014). Des séries américaines avec Ron Perlman (1987-1990) puis Kristin Kreuk (2012- ). Et puis, bien sûr, il y a le dessin animé des studios Disney (1991), ainsi qu'une adaptation en film prévue pour 2017 avec Emma Watson et Dan Stevens.
Et puis, épisodiquement, on retrouve les figures de la Belle et de sa Bête de façon plus ou moins poussée dans d'autres histoires, comme un clin d’œil, un hommage. Je les ai notamment retrouvés dans les personnages de Klaus et Caroline de The Vampire Diaries (cf. "The Beauty and the Hybrid") ou encore dans ceux de George R. R. Martin, Sandor Clegane et Sansa Stark (cf. "'I am no knight!': the strange case of Sandor 'the Hound' Clegane").

David Sala, un nouveau regard
Fin 2014, les éditions Casterman nous propose un retour aux sources avec la réédition du texte de Madame Leprince de Beaumont - retour aux sources, oui, mais avec une regard neuf, celui de l'illustrateur David Sala.
 
Le Père supplie la Bête
David Sala
Dans ce premier extrait mettant en scène le père de la Belle suppliant la Bête de l'épargner, la supériorité de l'un des personnages sur l'autre est clairement établie. Les mains jointes, à genoux, le père paraît minuscule face à la Bête, les poings serrés, debout, rendue encore plus imposante par la cape, le col et les cornes qui ajoutent à sa carrure. Le personnage hybride sur la droite du tableau donne un autre aperçu de la magie qui règne dans le château par son aspect étrange ! Il détourne le regard, seule la Bête a une emprise sur la situation. Le rouge domine la scène et transmet une atmosphère plutôt violente : "Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête d'une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et pour ma peine, vous me volez mes roses, que j'aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; [...] Mais vous m'avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu'une de vos filles vienne volontairement mourir à votre place;" Le portrait de la Bête qui suit la représentation de cette scène est saisissant. Ses yeux semblent flamboyer d'un feu vert pâle dont les flammes entourent son regard. Ses canines proéminentes dépassent de ses babines et pourtant, plus que de la laideur, c'est une certaine majesté qui transparaît dans ce portrait, encore accentuée par l'or des cornes de la Bête qui semble le couronner.

Le Père conduit la Belle
David Sala
Sur cette nouvelle double-page, le père emmène la Belle, la cadette de ses filles qui s'est portée volontaire pour être livrée à la Bête à la place de son père. On voit le chemin sur lequel ils avancent se séparer en deux ce qui illustre bien le choix qui s'offrait à la Belle. La bonté de son coeur l'a poussée à choisir de se sacrifier mais ce n'est en aucun cas quelque chose qui lui est imposé ; ce qui est d'ailleurs une des conditions de la Bête pour accepter cet échange : "Belle ne put s'empêcher de frémir, en voyant cette horrible figure : mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c'était de bon cœur qu'elle était venue, elle lui dit, en tremblant, que oui."
Malgré le sort censé attendre la Belle, le tableau n'est pas le moins du monde lugubre. Les touches de jaunes apportent de la lumière comme de douces lueurs féériques semblant illuminer le chemin de la Belle. Et puis, dominant ici, il ne faut pas oublier que le vert est la couleur de l'espoir... la Belle ne s'en va peut-être pas vers un destin aussi funeste qu'elle le pense !

Le Père quitte la Belle
La Bête et le père se retrouvent une nouvelle fois dans le même tableau, et le rouge si violent dans la première représentation des personnages revient lui aussi, mais contrebalancé cette fois par le bleu du carrelage qui fait écho aux vêtements de Belle semblant couler de ses épaules comme une cascade. Du motif du carrelage, ainsi que de l'escalier, se dégage un mouvement tourbillonnant : le destin est en marche et il n'est plus possible de l'arrêter.
Pourtant, malgré sa situation de prisonnière, Belle a l'air d'être celle qui maîtrise, contrôle la situation : après tout, comme on l'a dit, elle est là par choix. Elle se tient droite, la tête haute, digne. Devant elle, son père fait pâle figure, les genoux qui flanchent, la tête basse, sous le coup de la tristesse, de la honte peut-être. Quant à la Bête, bien que dominant la scène depuis l'escalier, il fait écho au père de la Belle, la tête basse comme si cela lui coûtait. La Belle est peut-être sa seule chance de briser le mauvais sort qui l'enferme dans ce corps de monstre mais il semble anéanti par ce qu'il fait.
Finalement, la Belle a leur destin à tous entre les mains : elle sauve son père en prenant sa place et est l'unique espoir de la Bête.

La Bête s'incline devant la Belle 
David Sala
Les couleurs ont changé. Plus paisible, le bleu inonde le tableau comme le ferait le clair de lune. Approprié puisque la Bête ne rejoint chaque jour la Belle que lors du dîner pour la demander en mariage. Mais c'est bien le premier soir qu'illustre ici David Sala quand la Bête dit à la Belle qu'il est son serviteur : "il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me dire de m'en aller, si je vous ennuie : je sortirai tout de suite.[...] tout ceci est à vous ; et j'aurais du chagrin, si vous n'étiez pas contente."
De profil, la Bête s'incline face à la Belle avec cérémonie. Il lui est dévoué, demande, propose mais, malgré sa force, n'exige rien. La Belle, quant à elle, se tient face au lecteur, les bras repliés sur elle dans un geste protecteur. Mais, son visage, comme le sera bientôt son cœur, se tourne vers la Bête.

La Bête se meurt
David Sala
Alors qu'elle rentre de la visite qu'elle a rendu à son père et qui fut plus longue qu'elle ne l'avait d'abord promis, la Belle attend avec impatience l'heure du dîner pour retrouver son ami. Comme il ne vient pas, elle prend peur. "Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l'avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte." Et c'est bien la peur de l'avoir perdu qui fait réaliser à la Belle tout l'amour qu'elle porte à la Bête.
Le tableau la représente enfin faisant face à la Bête, étendue sur son corps sans vie pour l'embrasser, une main sur son cœur. La position de la Bête, au bord du dernier soupir, la main tombant mollement dans l'eau, la cape étalée autour de son corps vidé de ses forces, ajoute à l'effet dramatique de la scène : sa peine, sa douleur, occupe la plus grande partie de cette double-page.

Le mariage de la Belle et la Bête
Sauvé par l'amour de la Belle, la Bête reprend forme humaine et redevient le prince qu'il était autrefois. Le couple s'enlace entre les deux arbres d'or, clin d’œil aux cornes disparues de la Bête et qui semblent former une porte ouvrant sur un nouveau départ.
Le cadre se referme sur les sœurs de la Belle, punies de leur cœur mauvais, condamnées sous forme de statues à être les éternels témoins du bonheur de leur cadette.

De façon générale, j'ai beaucoup aimé comment la nature se mêle aux décors. Sur les vêtements, les murs : les fleurs sont omniprésentes. Elles sont au centre de l'histoire car tout a commencé parce que la Belle a demandé à son père qu'il lui rapporte une rose. Cette omniprésence des fleurs rend la limite entre intérieur et extérieur floue. Même les arbres semblent être à l'intérieur du château ; ce dernier est ouvert sur la nature.
Si j'ai eu un coup de cœur pour cet album, la scène représentant la Bête au bord du canal est pour moi la plus réussie. C'est la scène cruciale du conte, le moment où la Belle comprend ce qu'elle ressent vraiment.
"Hélas, je croyais n'avoir que de l'amitié pour vous,
mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir."

vendredi 31 octobre 2014

Casper


Casper, the friendly ghost
A la fin des années 1930, Seymour Reit et Joe Oriolo créent Casper, un gentil fantôme. Nous sommes en 1939 et leur album pour enfants ne reçoit que peu d'intérêt. Les droits sont vendus à Paramount Pictures et Casper finit par rencontrer le succès. Il devient un dessin animé et une série de livres imagés. Mais, aux Etats-Unis, la question de la mort dérange... Ce fantôme à l'allure rondouillette d'un jeune garçon errant près d'une pierre tombale ne semble d'abord pas poser de problème mais les gens finissent par poser la question. Est-ce que Casper, indubitable fantôme, est un enfant mort ? C'était bien là l'idée de départ, celle d'un enfant, qui sous la forme d'un fantôme après sa mort, cherche encore à se faire des amis plutôt que de faire peur, l'activité normale d'un fantôme. Alors, pour satisfaire les gênés par la mort de Casper, on décide que si Casper est un enfant-fantôme c'est parce que ses parents eux-mêmes sont des fantômes ! Mouais... Et, pour atténuer un peu l'aspect fantomatique de Casper, on lui dessine deux petits pieds !
Cependant, en 1995, l'adaptation cinéma n'hésite pas à retourner au premier choix des créateurs et à recréer Casper en tant que fantôme d'un jeune garçon mort l'hiver de ses douze ans.

Histoires de fantômes dans le Maine
"Boucaniers et butins d'or, Whipstaff détient un trésor"
Le manoir de Whipstaff à Friendship dans le Maine est au cœur de l'histoire et c'est là qu'elle commence. Deux enfants s'y introduisent pour se prendre en photo et frimer devant les copains ! Mais ils ne friment pas lorsqu'ils se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls... L'histoire reprend avec Carrigan qui assiste à la lecture du testament de son père en présence de son avocat et "meilleur et plus intime ami", Dibs ! Elle qui croyait hériter d'une fortune est bien déçue lorsqu'elle apprend que tout ce qu'elle aura est le manoir du Maine, cette "vieille baraque" et que "Flipper a plus de fric [qu'elle]". L'espoir renaît pourtant quand Dibs découvre un message caché sur l'un des papiers testamentaires : "Boucaniers et butins d'or, Whipstaff détient un trésor." Alors subitement, Carrigan savait que "cette baraque avait de la valeur" alors que quelques secondes plus tôt, elle la dédaignait ! Ils s'y rendent donc sans tarder mais quand ils sont accueillis, comme les enfants, par l'habitant fantomatique des lieux, ils repartent sans demander leur reste ! Carrigan aura beau tout essayer : l'exorcisme et les ghostbusters, rien n'y fait ! Puisqu'il le faut, elle sort les grands moyens, elle va détruire la maison...

C'est alors que seul devant la télé, Casper tombe sur un reportage étonnant à propos du docteur Harvey qui prétend soigner les morts pour leur permettre de trouver le chemin de l'Au-delà. Casper décide donc de brancher Carrigan sur cette chaîne pour qu'elle fasse venir le docteur ! D'autant que celui-ci a une fille, Kat, et que tout ce dont rêve Casper est de se faire des amis.
Le Dr James Harvey va accepter le poste au grand désespoir de sa fille qui en assez de déménager tout le temps sans jamais avoir le temps de se faire un ami... Puis elle lui dit : "Tu ne la trouveras pas, tu sais. Maman n'est pas un fantôme, papa. Ça n'existe pas les fantômes." Alors son père lui propose un marché : s'il ne trouve pas ce qu'il cherche, ils s'installeront pour de bon - plus de déménagements.
Amitiés ectoplasmiques
James Harvey et sa fille arrivent donc à Whipstaff pour s'installer et les rencontres vont commencer ! Kat choisit sa chambre : celle de Casper, et se retrouve nez-à-nez avec le propriétaire des lieux. Mais elle n'aura pas le temps de crier puisqu'elle s'évanouit ! Le Dr Harvey, lui, en revanche, va crier quand en disant qu'il n'y a pas de fantôme dans le placard, il y voit Casper. Force est de constater qu'après toutes ses expériences, il s'agit là de sa première rencontre fantomatique. Et il ne croyait tellement pas trouver un fantôme dans une maison qu'on lui a pourtant demandé de l'en débarrasser que l'on se demande s'il croyait seulement aux fantômes ou s'il ne s'agissait pour lui que d'une bouée de sauvetage après la mort de sa femme. Mais cette rencontre avec un fantôme n'est pas la dernière car les trois oncles de Casper arrivent... et la soirée d'emménagement va virer à la folie ! Ce n'est qu'une fois, Teigneux, Bouffi et Crado bien au chaud dans l'aspirateur que le calme revient. Pourtant, le lendemain au petit-déjeuner, Casper et Kat font plus ample connaissance - c'est le début d'une véritable amitié entre deux mondes. 

Mais ils sont vite interrompus par les trois oncles, c'est l'heure pour le docteur Harvey d'entrer en scène et de commencer la thérapie de groupe ! Sauf que les trois compères ne vont pas se montrer très coopératifs - mais plutôt se payer sa tête, lui faisant croire qu'ils peuvent le mettre en contact avec Amelia, sa défunte épouse, alors qu'en réalité c'est Bouffi qui revient déguisé en femme. Les trois compères vont malgré tout regretter leur geste et s'attacher au docteur qui pourrait transformer leur "trio en quatuor !" C'est finalement un accident qui va s'en charger puisque le docteur tombe de haut et ne survit pas à sa chute. Alors, quand ils reviennent au manoir, ils ne sont plus trois mais quatre fantômes - au grand malheur de Kat que son fantôme de père a déjà presque oublié.
Mais, il y a une solution... l'amitié de Casper et Kat s'est développée, tous deux ont beaucoup échangé sur leur vie : Kat a perdu sa mère et Casper est mort après être tombé malade un hiver. Il a presque oublié ses parents mais parler avec Kat ravive ses souvenirs et il se rappelle les expériences de son père ayant conduit à la construction du Lazare : une machine qui peut ramener à la vie... Seulement, il n'y a plus qu'une dose alors quand le docteur se présente sous la forme d'un fantôme, Casper lui laisse la place - sa fille a besoin de lui.

Œuvres inachevées 
Et c'est bien pour ça qu'après son accident, le Dr Harvey demeure sur Terre même si pendant un instant il ne se rappelle plus pourquoi : une œuvre inachevée. "Les fantômes n'ont pas fini leur tâche sur Terre. Ils laissent quelque chose d'inachevé" expliquait-il dans son interview. Ainsi donc, les œuvres inachevées sont ce qui gardent les morts sur Terre. Nous ne savons pas ce qui fait rester les trois oncles mais Casper dit être resté pour ne pas laisser son père seul. Et puis, aussi, Casper reste pour se faire un ami et pourtant, quand il trouve Kat, il reste... Après la quête de l'amitié, c'est l'amitié elle-même qui le fait rester. Ou peut-être aspire-t-il à plus. Casper est mort jeune avant de pouvoir goûter à l'amour. Alors, Amelia, la mère de Kat, comme une fée marraine, lui accorde un dernier vœu. Après avoir laissé sa place au Dr Harvey dans le Lazare, il rejoint Kat et ses amis pour la fête d'Halloween en chair et en os et danse avec Kat et reçoit même un baiser avant de redevenir un fantôme et de faire fuir les invités.
Les œuvres inachevées c'est aussi ce qui va leur permettre de se débarrasser de Carrigan qui n'a pas renoncé au trésor de Whipstaff et est prête à tout pour l'obtenir - jusqu'à commettre un meurtre. Et qui mieux que "son meilleur et plus intime ami" Dibs ? Seulement, la bonne volonté de Dibs a des limites ! Et les deux acolytes se lancent dans une course à l'homicide. Après bien des tentatives manquées, c'est Carrigan qui tombe bêtement d'une falaise en sortant de sa voiture après avoir manqué Dibs. Elle a alors la possibilité de traverser les murs et peut s'introduire dans le coffre-fort pour en retirer le trésor - et c'est là que Casper la piège avant qu'elle ne puisse utiliser le Lazare. Il lui fait reconnaître qu'elle n'a pas d’œuvre inachevée : "Je n'ai pas d'oeuvre inachevée ! J'ai mon trésor. Ma maison. J'ai tout ce que je veux !" et que son fantôme disparaisse.
Débarrassés de Carrigan et Dibs, des camarades de classe de Kat, cette dernière, son père, Casper et ses oncles continuent la fête ensemble et on suppose que le Dr Harvey, après avoir finalement trouvé Amelia va tenir sa promesse à Kat et poser ses valises !
"Je t'avais dit que j'étais un bon danseur. Tu restes avec moi ?"
Moi en tous cas je reste car Casper fait partie de ces films de mon enfance qui me sont devenus cultes. Petits, on est attirés par les fantômes et les gags qui vont avec et aussi, avouons-le, pour ce qui est des petites filles, on est un peu amoureuses de Casper redevenu chair et os lors du bal d'Halloween. On a toutes voulu être à la place de Kat !
Puis, en grandissant, d'autres aspects du film viennent s'ajouter au tableau. Tout ce qui entoure Casper est doux-amer. Il nous fait sourire et en même temps nous donne envie de pleurer parce qu'à mesure que Kat se rapproche de lui, il se rapproche de nous. Il se confie, avoue ne plus très bien se souvenir de sa mère, puis les souvenirs reviennent quand Kat lui fait la surprise de réinstaller tous ses jouets dans la selle de jeux. Alors même les souvenirs de ses derniers jours lui reviennent "Tout est noir, tout est froid. Je tombe malade. Mon père est triste..." et cette mort les rapproche et les sépare à la fois. Kat a fait l'expérience de la mort et compatit à la situation de Casper. Mais, dans le même temps, on se rend compte qu'ils vivent dans deux mondes différents. Ceci se révèle dans cette scène où Casper embrasse Kat sur la joue après lui avoir demandé une première fois de rester avec lui et que Kat, déjà dans les bras de Morphée lui demande de fermer la fenêtre : "il fait froid", dit-elle. Casper est froid, il est mort. Et il n'y a pourtant ami plus chaleureux que ce petit fantôme qui joue un mauvais tour aux nouveaux camarades de classe moqueurs de Kat en nouant leurs lacets ! Et qui sacrifie son rêve pour faire passer le bien de Kat avant le sien.

Et puis pour accompagner le tout il y a la musique de James Horner, hypnotique qui nous emporte. D'abord lorsque Casper et Kat créent les premiers liens qui tisseront leur amitié en se touchant la main. Puis quand Casper raconte son histoire et se remémore des choses et enfin, lorsqu'Amelia lui accorde un vœu pour récompenser son geste envers Kat et son père.
Casper est le film idéal en ce moment parce que les arbres derrière nos fenêtres sont reflétés dans ceux de la ville de Friendship. Parce que c'est bientôt Halloween et que c'est une histoire de fantômes et qu'Halloween, ses blagues et ses costumes, font partie intégrante du film. Parce que le ton doux-amer du film s'accorde parfaitement avec la douce nostalgie qui accompagne l'automne. Parce que Casper vous fera rire, pleurer, peut-être même les deux en même temps. Parce que c'est un film à voir et à revoir, comme une tradition. Tout ce qu'il voulait c'est que quelqu'un reste avec lui...