Bilbo

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- Penny Dreadful : une nouvelle ligue de héros extraordinaires

- Tolkien et les forêts de la Terre du Milieu

- Les gentlemen en tous genres (ou pas) des sœurs Brontë

- Field of Dreams : des rêves et des hommes

- Une touche de Jane Eyre et une pincée des Hauts de Hurlevent dans la recette du Jardin Secret

- Les héroïnes en tous genres de Jane Austen

NB : Le référencement des illustrations est en cours... mais ça risque de prendre un peu de temps !

The translation of some articles into English is in progress and will soon be available.
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jeudi 28 juillet 2016

Féroce

Cette histoire de Jean-François Chabas illustrée par David Sala est parue en 2012 aux éditions Casterman. On y trouve des allusions à plusieurs contes biens connus : le Vilain Petit Canard  de Andersen, le Petit Chaperon Rouge des frères Grimm et la Belle et la Bête de Jeanne-Marie Le prince de Beaumont. Toutes ces références s'accordent dans une jolie histoire d'amitié. De plus, l'album est magnifique matériellement parlant avec son format à l'italienne et ses illustrations qui se déplient sur des doubles-pages.

Le vilain petit loup
L'histoire commence avec la naissance de Fenris, un petit louveteau au pelage rouge au sein d'une portée de petits loups blancs. Mais ce n'est pas de là que vient le problème. Le problème c'est que Fenris a l'air féroce, et ce dès la naissance. Il ne s'agit pas de comportement, seulement de son apparence. En grandissant, Fenris devient énorme, sa mâchoire aux dents acérées béante et ses yeux écarlates... Même les autres loups ont peur de Fenris et il est exclu de la meute. Alors, à force de terroriser les autres par sa seule apparence, Fenris devient réellement féroce. Sa force aurait pourtant pu faire de lui un grand chef de meute mais "il ne suffisait pas d'être fort ; il fallait être aimé, et Fenris ne l'était pas." Ainsi, il erre, hante les bois en terrorisant tous ceux qu'il croise -jusqu'à une rencontre inattendue...

La petite fille en rouge
Le texte de Chabas ne précise pas que la petite fille est en rouge mais c'est ainsi que Sala la représente. Ceci permet d'établir un parallèle entre les deux personnages puisque le fourrure de Fenris est décrite comme pourpre -et c'est aussi l'occasion d'un clin d'oeil au conte du Petit Chaperon Rouge : une autre rencontre dans les bois, mais avec une fin bien différente... En effet, si Fenris est devenu féroce comme on l'accusait simplement à cause de son apparence, tout va changer grâce à cette rencontre car la petite fille aura une regard différent. D'abord, Fenris s'approche doucement dans le dos de la petite fille, savourant déjà sa terreur à venir... mais la rencontre ne se déroule pas comme Fenris le croyait et il a veau montrer les dents, lancer des éclairs de ses yeux écarlates, rien n'y fait : elle n'a pas peur de lui !

La belle et la bête
Non, elle n'a pas peur car elle ne le juge pas à sa seule apparence. Elle attribue ses yeux rouges à de la conjonctivite et tente même de l'examiner. Elle ne lui montre que gentillesse et affection. Et, Fenris est si peu habitué à une telle réaction qu'il ne sait comment réagir, acceptant cette démonstration d'amitié accidentellement ! Mais cette rencontre lui fait voir qu'il peut être autre chose que féroce car il y a bien quelqu'un qui ne le voit pas comme ça d'emblée... et c'est e début d'une longue amitié et d'une légende : celle d'une jeune fille et d'un loup qui parcourent les bois ensemble, des mais pour la vie...
"Ils marchent de concert, du pas de ceux qui ont très longtemps cheminé ensemble ; parfois la jeune fille s'appuie contre l'encolure du loup, parfois c'est le loup qui vient se presser contre les jambes fines de l'humaine. Ils s'accordent. Mais les gens, qui se montrent aujourd'hui bien sérieux, disent que c'est impossible. Les loups, c'est bien connu, sont si féroces."

samedi 11 avril 2015

Cendrillon trouve chaussure à son pied

Alors que Maléfique (cf. "Maléfique au Bois Dormant") était une réinterprétation du conte de la Belle au Bois Dormant, Cendrillon raconte la même histoire que le dessin animé, ou presque - à vraiment peu de choses près. Pourquoi donc aller le voir ? Pour passer un bon moment, pour redécouvrir ce dessin animé, ce conte, en film. Parce que "les rêves qui sommeillent dans nos cœurs, au creux de la nuit, habillent nos chagrins de bonheur dans le doux secret de l'oubli" ...
 

"Have courage and be kind"
Le dessin animé ne nous donnait qu'un très bref aperçu de l'enfance de Cendrillon : la disparition de son père après son remariage, la sournoiserie de la marâtre annoncée et hop on entre dans le vif du sujet ! Le film prend un peu plus son temps et on nous présente même la mère de Cendrillon -ou devrais-je dire Ella (Javotte et Anastasie construisent le surnom Cinderella en anglais à partir de cinder, la cendre, et Ella, son prénom). Tout va bien dans le meilleur des mondes mais alors qu'on sourit devant leur bonheur, on a déjà envie de pleurer parce qu'on sait que ça ne va pas durer.
Quand elle tombe malade, la mère d'Ella lui confie un secret pour l'aider à traverser toutes les épreuves : être courageuse et bienveillante. Ella appliquera donc toujours ce conseil et cela devient sa force car malgré toute la méchanceté dont peuvent faire preuve sa belle-mère et ses deux filles qui la relèguent peu à peu au statut de servante, elles n'arriveront jamais à la briser comme elles le souhaiteraient.
Je dois souligner que cela ne fait pas pour autant d'Ella un personnage niais. Elle est profondément gentille, certes, comme on le voit dans ses relations avec les animaux, ses voisines les souris et le cerf pris en chasse qu'elle croise dans les bois, mais niaise non. Quand tout devient noir, elle trouve de la force dans cette promesse qu'elle a faite à sa mère. Quand, proche du dénouement, la marâtre lui propose un marché -la laisser retrouver le prince en échange d'une place de choix au palais pour régenter le royaume- Ella préfère sacrifier ses chances de bonheur avec le prince plutôt que de le laisser tomber entre les griffes de cette femme et quand la marâtre ose déclarer être sa mère, la réponse d'Ella est sans équivoque : "Vous n'avez jamais été et ne serez jamais ma mère". Elle trouve tout de même la force de la pardonner : elle ne gâchera pas sa vie à ressasser le passé, elle tourne définitivement la page et elle pourra être heureuse, contrairement à Madame Tremaine.
Parfois, Ella est à la limite du burn out mais elle tient le coup parce qu'elle est chez elle, dans la maison de ses parents, et que c'est un réconfort en soi. Sa bonté fait sa force parce que, même si elle est consciente de l'injustice de sa situation, elle sait que d'autres sont encore moins chanceux. C'est pourquoi, quand anéantie par le comportement de sa marâtre pour l'empêcher d'aller au bal, elle se reprend pour venir en aide à la vieille dame qui lui demande un verre de lait et qui s'avère n'être autre que sa marraine la bonne fée.

Au douzième coup de minuit
Helena Bonham Carter fait une drôle de fée, bien différente de celle au capuchon bleu qui vient en aide à notre héroïne dans le dessin animé. Elle n'a pas toujours l'air de savoir ce qu'elle fait mais elle se démène pour qu'Ella aille au bal avec un empressement tout maternel.
Quelques bibidi bobidi boo bien placés et c'est parti ! La magie est superbement réalisée : la transformation de la citrouille en carrosse, des souris en chevaux qui gardent leurs oreilles rondes pendant un temps ! C'est peut-être encore plus impressionnant lors du retour à la réalité quand Ella, assise dans son carrosse, commence à se retrouver entourée de pépins !
Mais la magie ne se retrouve pas que dans la magie, elle est présente dans tout le film, dans l'intemporalité de ce conte. Dans les décors de la maison et du jardin qui apparaissent comme un véritable petit paradis sur Terre plein de couleurs. Dans les costumes qui sont le miroir des personnages. La fée irradie de lumière, la marâtre donne dans le grandiose, ses filles dans le ridicule recouvertes qu'elles sont de fanfreluches identiques. Et Ella... Ella resplendit même dans sa toute simple robe bleue du début qui finit par devenir sa robe de souillon. Et la robe de bal...

S'il n'y avait qu'une seule raison à donner pour aller voir le film, ça pourrait presque être celle-là : aussi simple que les robes des sœurs sont bariolées, aussi grandiose que les autres sont ridicules, c'est l'équilibre parfait et les couleurs sont magnifiques. Et je préfère ne pas me lancer sur la robe de mariée... J'émets en revanche un petit bémol sur les pantoufles de verre qui ont plutôt l'air d'être taillées dans du diamant -du cristal Swarovski, en fait- ce qui leur donne un côté un peu trop épais.

Kenneth Branagh, réalisateur Shakespearien
Vous le connaissez peut-être comme le professeur Gilderoy Lockhart mais Kenneth Branagh est aussi un réalisateur avec à son actif quelques adaptations des pièces de William Shakespeare. Il y a deux choses très importantes à cette histoire sur lesquelles il attire subtilement l'attention : les chaussures et la valse ! Au début du film, alors qu'elle attend des nouvelles de sa mère, c'est sur un plan des petites ballerines bleues d'Ella que s'ouvre la scène. Avant cela, quand elle grimpe sur les pieds de son père, puis, plus tard, quand elle s'apprête à grimper dans le carrosse.
On annonce ce qui va se passer avec les pantoufles de verre : elles sont la clé pour le happy ever after de Ella et du prince. Il la lui passe déjà au pied quand elle la perd lors du bal en faisant de la balançoire, prélude à la scène finale -parce que là le prince se déplace lui-même ce qui est tout de même une amélioration par rapport à celui du dessin animé qui ne quitte pas le château ! D'ailleurs de manière générale, le prince est plus présent. On voit aussi son histoire et dans cette version, lui aussi est sur le point de perdre son père, ce qui rapproche les deux personnages. Plus qu'un coup de foudre, c'est la rencontre de deux personnes qui sont sur la même longueur d'onde et qui s'en intriguent.
En ce qui concerne la valse. Dès le début elle est présente car lorsqu'il rentre de voyage, Ella danse avec son père dans la cour. Puis, quand elle s'échappe un instant de la maison à cheval pour s'éloigner de la marâtre et de ses filles, elle rencontre le prince et toute la scène est filmée comme une danse.
 
Chacun sur son cheval, ils se tournent autour et la caméra tourne autour d'eux, principe repris lors de la scène du bal, si bien qu'ils semblent déjà être en train de danser. Et, vient le moment du bal et de la valse mythique, jusqu'à ce que sonnent les douze coups de minuit et qu'Ella prenne la fuite avec la caméra qui la suit en un mouvement de balancier comme celui d'une horloge tic... toc... !
Une histoire qu'on connaît par cœur mais bien réalisée. L'émotion est là, alors c'est réussi. Ella "Cendrillon" et le prince "Kit" sont attachants, et Cate Blanchett glaçante en marâtre - en même temps une dame si sophistiquée qui appelle son chat Lucifer, c'est déjà louche. Mais Kenneth Branagh se concentre aussi sur elle. Elle est filmée à quelques reprises alors qu'elle est seule et l'on devine ce qui se passe dans sa tête, même si cela n'excuse en rien ses actes.
Alors évidemment, si on est pas conte de fées ou Disney, ce n'est certainement pas la peine parce que c'est ce que c'est : du Disney. C'est la raison pour laquelle j'aime d'ailleurs ! -"Voir le monde non pas comme il est mais comme il pourrait être" dit la narratrice et ça fait du bien de s'en rappeler de temps en temps : une petite bouffée d'oxygène- Mais c'est bien ce qu'est ce film : un remake du dessin animé et non une nouvelle adaptation du conte de Perrault, et encore moins de la version des frères Grimm ! Mais si c'est ce qu'on préfère, les livres sont toujours là et ne demandent qu'à être ouverts ! 

dimanche 29 mars 2015

La Belle, la Bête et David Sala

David Sala
Aux origines d'un conte
Mythe, légende et folklore
L'histoire de la Belle et la Bête trouve ses origines en partie dans le mythe de l'Antiquité retraçant l'histoire d'Amour (Cupidon/Eros) et Psyché (l'Âme). Psyché est si belle qu'elle s'attire la jalousie de Vénus/Aphrodite qui envoie son fils, Amour, pour la condamner à tomber amoureuse de l'être le plus laid qu'il pourra trouver. Mais Amour est pris à son propre jeu et tombe lui-même amoureux de Psyché. A priori, pas grand chose en commun entre le dieu de l'amour et la Bête... La ressemblance entre les deux histoires se retrouve surtout dans le fait que durant la journée, Psyché -ou la Belle- erre dans un château où ses moindres désirs sont exaucés avant même d'être exprimés. L'idée du monstre est tout de même présente car quand la Belle revoit ses sœurs, celles-ci, jalouses de son bonheur, lui disent que si son amant ne se montre pas c'est certainement parce qu'il est monstrueux.
Sandrine Gestin, Mélusine
L'histoire se retrouve en Italie avec "Le Roi Porc" des Nuits facétieuses de Francesco Straparola et en Scandinavie avec "A l'est du soleil et à l'ouest de la lune" de Peter Christen Asbjornsen et Jorgen Moe. Puis, elle arrive en France pour être couchée sur le papier par Madame de Villeneuve (1740) dans La Jeune Américaine  et les contes marins puis par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1757) dans Le Magasin des enfants.
A l'occasion, les rôles de la Belle et de la Bête sont inversés. Chevalier de la Table Ronde, Gauvain a fait vœu de courtoisie et pour honorer ce vœu, il accepte la demande en mariage de la plus laide des femmes et ceci libère d'un sortilège la jolie jeune femme qu'elle renferme. La légende de Mélusine parle également d'une femme monstrueuse puisque, punie, elle est condamnée à être serpente à partir de la taille chaque samedi. Elle, en revanche, ne sera pas sauvée par son amour...
Héritage et influences
La Belle et la Bête de Cocteau
Le conte en aura inspiré plus d'un : film, dessin animé, série... Il y aura eu Jean Cocteau (1946) bien sûr et plus récemment la version mettant en scène Vincent Cassel et Léa Seydoux (2014). Des séries américaines avec Ron Perlman (1987-1990) puis Kristin Kreuk (2012- ). Et puis, bien sûr, il y a le dessin animé des studios Disney (1991), ainsi qu'une adaptation en film prévue pour 2017 avec Emma Watson et Dan Stevens.
Et puis, épisodiquement, on retrouve les figures de la Belle et de sa Bête de façon plus ou moins poussée dans d'autres histoires, comme un clin d’œil, un hommage. Je les ai notamment retrouvés dans les personnages de Klaus et Caroline de The Vampire Diaries (cf. "The Beauty and the Hybrid") ou encore dans ceux de George R. R. Martin, Sandor Clegane et Sansa Stark (cf. "'I am no knight!': the strange case of Sandor 'the Hound' Clegane").

David Sala, un nouveau regard
Fin 2014, les éditions Casterman nous propose un retour aux sources avec la réédition du texte de Madame Leprince de Beaumont - retour aux sources, oui, mais avec une regard neuf, celui de l'illustrateur David Sala.
 
Le Père supplie la Bête
David Sala
Dans ce premier extrait mettant en scène le père de la Belle suppliant la Bête de l'épargner, la supériorité de l'un des personnages sur l'autre est clairement établie. Les mains jointes, à genoux, le père paraît minuscule face à la Bête, les poings serrés, debout, rendue encore plus imposante par la cape, le col et les cornes qui ajoutent à sa carrure. Le personnage hybride sur la droite du tableau donne un autre aperçu de la magie qui règne dans le château par son aspect étrange ! Il détourne le regard, seule la Bête a une emprise sur la situation. Le rouge domine la scène et transmet une atmosphère plutôt violente : "Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête d'une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et pour ma peine, vous me volez mes roses, que j'aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; [...] Mais vous m'avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu'une de vos filles vienne volontairement mourir à votre place;" Le portrait de la Bête qui suit la représentation de cette scène est saisissant. Ses yeux semblent flamboyer d'un feu vert pâle dont les flammes entourent son regard. Ses canines proéminentes dépassent de ses babines et pourtant, plus que de la laideur, c'est une certaine majesté qui transparaît dans ce portrait, encore accentuée par l'or des cornes de la Bête qui semble le couronner.

Le Père conduit la Belle
David Sala
Sur cette nouvelle double-page, le père emmène la Belle, la cadette de ses filles qui s'est portée volontaire pour être livrée à la Bête à la place de son père. On voit le chemin sur lequel ils avancent se séparer en deux ce qui illustre bien le choix qui s'offrait à la Belle. La bonté de son coeur l'a poussée à choisir de se sacrifier mais ce n'est en aucun cas quelque chose qui lui est imposé ; ce qui est d'ailleurs une des conditions de la Bête pour accepter cet échange : "Belle ne put s'empêcher de frémir, en voyant cette horrible figure : mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c'était de bon cœur qu'elle était venue, elle lui dit, en tremblant, que oui."
Malgré le sort censé attendre la Belle, le tableau n'est pas le moins du monde lugubre. Les touches de jaunes apportent de la lumière comme de douces lueurs féériques semblant illuminer le chemin de la Belle. Et puis, dominant ici, il ne faut pas oublier que le vert est la couleur de l'espoir... la Belle ne s'en va peut-être pas vers un destin aussi funeste qu'elle le pense !

Le Père quitte la Belle
La Bête et le père se retrouvent une nouvelle fois dans le même tableau, et le rouge si violent dans la première représentation des personnages revient lui aussi, mais contrebalancé cette fois par le bleu du carrelage qui fait écho aux vêtements de Belle semblant couler de ses épaules comme une cascade. Du motif du carrelage, ainsi que de l'escalier, se dégage un mouvement tourbillonnant : le destin est en marche et il n'est plus possible de l'arrêter.
Pourtant, malgré sa situation de prisonnière, Belle a l'air d'être celle qui maîtrise, contrôle la situation : après tout, comme on l'a dit, elle est là par choix. Elle se tient droite, la tête haute, digne. Devant elle, son père fait pâle figure, les genoux qui flanchent, la tête basse, sous le coup de la tristesse, de la honte peut-être. Quant à la Bête, bien que dominant la scène depuis l'escalier, il fait écho au père de la Belle, la tête basse comme si cela lui coûtait. La Belle est peut-être sa seule chance de briser le mauvais sort qui l'enferme dans ce corps de monstre mais il semble anéanti par ce qu'il fait.
Finalement, la Belle a leur destin à tous entre les mains : elle sauve son père en prenant sa place et est l'unique espoir de la Bête.

La Bête s'incline devant la Belle 
David Sala
Les couleurs ont changé. Plus paisible, le bleu inonde le tableau comme le ferait le clair de lune. Approprié puisque la Bête ne rejoint chaque jour la Belle que lors du dîner pour la demander en mariage. Mais c'est bien le premier soir qu'illustre ici David Sala quand la Bête dit à la Belle qu'il est son serviteur : "il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me dire de m'en aller, si je vous ennuie : je sortirai tout de suite.[...] tout ceci est à vous ; et j'aurais du chagrin, si vous n'étiez pas contente."
De profil, la Bête s'incline face à la Belle avec cérémonie. Il lui est dévoué, demande, propose mais, malgré sa force, n'exige rien. La Belle, quant à elle, se tient face au lecteur, les bras repliés sur elle dans un geste protecteur. Mais, son visage, comme le sera bientôt son cœur, se tourne vers la Bête.

La Bête se meurt
David Sala
Alors qu'elle rentre de la visite qu'elle a rendu à son père et qui fut plus longue qu'elle ne l'avait d'abord promis, la Belle attend avec impatience l'heure du dîner pour retrouver son ami. Comme il ne vient pas, elle prend peur. "Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l'avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte." Et c'est bien la peur de l'avoir perdu qui fait réaliser à la Belle tout l'amour qu'elle porte à la Bête.
Le tableau la représente enfin faisant face à la Bête, étendue sur son corps sans vie pour l'embrasser, une main sur son cœur. La position de la Bête, au bord du dernier soupir, la main tombant mollement dans l'eau, la cape étalée autour de son corps vidé de ses forces, ajoute à l'effet dramatique de la scène : sa peine, sa douleur, occupe la plus grande partie de cette double-page.

Le mariage de la Belle et la Bête
Sauvé par l'amour de la Belle, la Bête reprend forme humaine et redevient le prince qu'il était autrefois. Le couple s'enlace entre les deux arbres d'or, clin d’œil aux cornes disparues de la Bête et qui semblent former une porte ouvrant sur un nouveau départ.
Le cadre se referme sur les sœurs de la Belle, punies de leur cœur mauvais, condamnées sous forme de statues à être les éternels témoins du bonheur de leur cadette.

De façon générale, j'ai beaucoup aimé comment la nature se mêle aux décors. Sur les vêtements, les murs : les fleurs sont omniprésentes. Elles sont au centre de l'histoire car tout a commencé parce que la Belle a demandé à son père qu'il lui rapporte une rose. Cette omniprésence des fleurs rend la limite entre intérieur et extérieur floue. Même les arbres semblent être à l'intérieur du château ; ce dernier est ouvert sur la nature.
Si j'ai eu un coup de cœur pour cet album, la scène représentant la Bête au bord du canal est pour moi la plus réussie. C'est la scène cruciale du conte, le moment où la Belle comprend ce qu'elle ressent vraiment.
"Hélas, je croyais n'avoir que de l'amitié pour vous,
mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir."