Bilbo

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- Penny Dreadful : une nouvelle ligue de héros extraordinaires

- Tolkien et les forêts de la Terre du Milieu

- Les gentlemen en tous genres (ou pas) des sœurs Brontë

- Field of Dreams : des rêves et des hommes

- Une touche de Jane Eyre et une pincée des Hauts de Hurlevent dans la recette du Jardin Secret

- Les héroïnes en tous genres de Jane Austen

NB : Le référencement des illustrations est en cours... mais ça risque de prendre un peu de temps !

The translation of some articles into English is in progress and will soon be available.

samedi 14 janvier 2012

Quand les mots deviennent des images...

Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien vu par Peter Jackson, hobbit et réalisateur
Lorsqu’on voit Peter Jackson courir de plateaux en plateaux au milieu d’armures et d’affreux masques d’orques, le tout pieds nus et le cheveux bouclé en bataille, on se demande bien qui d’autre que lui aurait pu s’attaquer à l’immense tâche que fut celle d’adapter le chef d’œuvre du professeur Tolkien à l’écran.

“I wanted something that felt authentic.” – P.J.
Comme je l’ai déjà évoqué, lire Tolkien nous fait croire à un monde qui, malgré ses caractéristiques de fantasy, aurait réellement existé (cf. “Tolkien, wizard of words”) et c’est de cette façon que Peter Jackson a abordé l’adaptation des romans. Le réalisateur a été très clair sur ses attentes dès la pré-production des films. C’est dans un discours aux artistes de Weta qu’il a exprimé sa vision du projet :

“We’ve been given the job of making The Lord of the Rings. From this point on I want to think that Lord of the Rings is real, that it was actually history. That these events happened. And more than that, I want us to imagine that we’ve been lucky enough to be able to go on location and shoot our movie where the real events happened. Those characters did exist and wore costumes and I want the costumes to be totally accurate to what the real people wore. Hobbiton still exists, it’s overgrown with weeds and it’s been worn down and neglected for the last three or four hundred years but we’re going to go back in there and clean it up. We’re the luckiest film crew in the world that we’re able to shoot on the real locations where the real events actually took place.”

Richard Taylor
Alan Lee
C’est donc dans cette optique que les créateurs de Weta se sont mis au travail. Dirigée par Richard Taylor, Weta a été en charge des décors, des armes et des armures, de la conception et de la fabrication de tout objet ou créature que l’on peut voir dans les films. L’équipe a très tôt été rejointe par Alan Lee et John Howe, deux artistes dont les travaux ont souvent pour sujet l’œuvre de Tolkien. Un par un, chaque lieu a été décortiqué et sa conception étudiée pour être la plus fidèle possible aux descriptions de Tolkien. Certains décors ont été construits en extérieurs comme Hobbitebourg, Edoras ou encore certaines parties de Fondcombe. D’autres sont construits en studio à échelle réelle ou bien sous formes de miniatures, ou de “maxitures” comme on les appelle chez Weta, pour être filmés avec des mini-caméras sous toutes leurs coutures. Cela aura été le cas par exemple de la tour d’Orthanc ou encore de Minas Tirith.

 
Parmi les créatures auxquelles Weta est chargée de donner vie, l’une est particulièrement importante. Gollum a été réalisé grâce à la technique de la performance capture. Andy Serkis, qui l’incarne, enfile un costume moulant et se fait harnacher de toutes sortes de capteurs pour que les techniciens puissent enregistrer chaque expression et chaque émotion qu’il joue. Une technique reprise pour Avatar, Les Origines de la Planète des Singes ou encore Tintin : Le Secret de la Licorne. Également en charge des armures, les artistes de Weta ont fait leur maximum quand au désir d’authenticité exprimé par Peter Jackson, allant parfois jusqu’à incorporer des détails qui ne seront jamais visibles à l’écran… heureusement les bonus du DVD sont là pour rendre justice à leur travail ! Cependant, même si ces détails ne sont pas visibles à l’écran, ils demeurent bien réels pour l’acteur qui enfile le costume et comme l’a remarqué Bernard Hill, qui incarne le roi Théoden : “That’s just so great. That makes me feel like a king, not an actor.” Cela leur permet, à eux aussi, de croire en l’existence historique du personnage qu’ils incarnent ! Le même souci du détail est à observer dans le département « costumes » dirigé par Ngila Dickson. À la tête d’un immense atelier, Ngila Dickson a conçu tous les costumes des films. Amatrice de travail bien fait, elle n’a rien laissé au hasard et ses costumes sont eux aussi bien souvent dotés de détails que le spectateur ne peut remarquer. Dans le même registre que son collègue, Sir Ian McKellen remarque : “This remarkably embroidered gown can never be seen, there’s no point in doing it other than making me believe as I put it on that they are the real clothes… which I do.”
Ngila Dickson
Ainsi, quand les acteurs entrent en piste, tout est là pour leur faire croire qu’ils sont des personnages historiques évoluant dans des lieux historiques et pour qu’ils puissent à leur tour le faire croire aux spectateurs. Viggo Mortensen, par exemple, qui incarne Aragorn, a pris son rôle très à cœur et ne se séparait que rarement de son épée. Il a aussi participé à la conception de son costume en le rapiéçant lui-même puisque, selon lui, c’est ce que son personnage aurait fait !


Un voyage à travers le monde de Tolkien
Plus qu’une adaptation de l’œuvre majeure de Tolkien, la trilogie réalisée par Peter Jackson est un véritable voyage à travers le monde créé par le professeur d’Oxford. Le prologue qui ouvre La Communauté de l’Anneau nous montre une part infime de l’abondante mythologie créée par Tolkien en nous ramenant au temps de la fabrication des anneaux de pouvoirs et de l’anneau unique. Il nous montre également l’ultime alliance des hommes et des elfes lors de la bataille de Dagorlad, lieu de la chute de Sauron. On y trouve un clin d’œil au chapitre “Énigmes dans le noir” de Bilbo le hobbit dans lequel Bilbon entre en possession de l’anneau. Autre clin d’œil à ce premier roman apparaissant dans Le Seigneur des Anneaux, livre comme film, les trolls transformés en pierre de Bilbon !
Bien sûr, pour des questions de format notamment, des modifications ont dû être apportées au texte original. Beaucoup ont été déçus de l’absence de Tom Bombadil mais cet épisode ne fait pas avancer l’histoire de Frodon ou celle de l’anneau et ne ferait que ralentir le film. Mais, comme l’explique Philippa Boyens, l’une des scénaristes : “We don’t know that they haven’t met Tom. We just don’t mention it.” De même le chapitre concernant le sauvetage de la Comté qui prend place à la fin de l’histoire ne fait pas partie du film et cela pour la simple raison qu’on ne peut imposer ce nouveau rebondissement et ce nouveau combat aux spectateurs après les multiples fins auxquelles ils ont déjà assisté. On nous a montré la destruction de l’anneau, les retrouvailles de la communauté, le couronnement d’Aragorn et on ne peut se permettre d’ajouter une toute nouvelle intrigue à la fin alors qu’il reste encore la véritable fin à montrer, celle des Havres Gris. C’est pour cette raison que lorsque les hobbits rentrent chez eux à la fin du Retour du Roi, rien n’a changé, la Comté est ce qu’elle a toujours été : paisible et verdoyante.
Malgré ces suppressions, on trouve tout de même des ajouts par rapport aux romans d’origine. Il s’agit souvent d’éléments mentionnés dans le roman que Peter Jackson a préféré filmer comme par exemple l’entretien entre Gandalf et Saroumane ainsi que la captivité du premier au sommet de la tour d’Orthanc et son évasion avec l’aide de Gwaïhir, le seigneur des aigles. Dans un registre différent, Peter Jackson a donné plus d’ampleur au personnage d’Arwen en allant puiser dans l’appendice consacré à son histoire et celle d’Aragorn. Amour d’Aragorn, il fallait qu’Arwen soit plus présente à l’écran pour que les spectateurs aient le sentiment de la connaître avant qu’elle ne rejoigne Aragorn lors de son couronnement. Ainsi, Arwen prend la place de Glorfindel et emmène Frodon jusqu’au Gué de Bruinen, poursuivie pas les Cavaliers Noirs. On assiste également au combat intérieur qui l’anime lorsqu’elle doit choisir entre son peuple et son amour mortel.

 
Un parfum de fantasy
À travers les paysages de son pays natal, Peter Jackson nous offre une vision de la Terre du Milieu à la fois fantastique et authentique : les collines de la Comté, le grand fleuve Anduin, les plaines du Rohan, les reliefs accidentés de l’Emyn Muil…


Chaque race a été dotée de caractéristiques propres pour que le spectateur puisse les différencier et cela jusque dans l’architecture de leurs demeures. Pour compléter le tableau, le compositeur Howard Shore a créé pour cette trilogie une fresque musicale sans pareil. Chaque lieu, chaque peuple a ses propres sons. La musique de cet artiste de génie est comme un guide à travers le monde complexe de Tolkien ici dévoilé à l’écran. Elle guide le spectateur d’un lieu à un autre, d’un peuple à un autre et elle guide ses émotions au cœur de ce monde de fantasy où tout est inconnu et pourtant si évident.


Trois films, une épopée
Le Seigneur des Anneaux suit la quête, d’abord commune, de neuf compagnons pour détruire l’anneau unique. Séparés, les protagonistes continuent à mener la quête chacun de leur côté en continuant leur route vers le Mordor, en repoussant les armées de Saroumane et de Sauron ou encore en faisant participer les Ents au combat.
Dans cette partie j’ai choisi de m’intéresser à certaines scènes en particulier.

Gandalf disparaît dans les profondeurs de la Moria :
Cette scène finit de présenter les personnages car leur réaction à cette lourde perte les définit pour de bon. Peter Jackson insiste sur la réaction de chaque personnage en filmant chaque acteur à tour de rôle. Sam se laisse tomber à terre sous le choc mais sera le premier à se relever. En guerrier et ami fidèle, Gimli tente de retourner à l’intérieur mais est retenu par Boromir. Alors que Pippin s’écroule en pleurs, Merry tente de le réconforter malgré son propre chagrin. Il est le leader des deux, le plus mature alors que Pippin agit plus spontanément. Legolas, membre d’un peuple immortel ne semble pas comprendre ce qui vient de se passer, la mort lui est étrangère. Aragorn est maintenant le leader de la communauté et son sens du devoir prend le pas sur ses sentiments, sa mission est de guider la communauté jusqu’à la réalisation de sa quête et d’en protéger les membres. C’est pour cette raison qu’il insiste sur leur départ immédiat. Boromir révèle son grand cœur en laissant parler son empathie pour les hobbits anéantis, prélude à la bravoure qu’il montre lorsqu’il protège Merry et Pippin des Uruk-hais. Quand à Frodon, Peter Jackson a eu une requête particulière à l’intention d’Elijah Wood : que sa douleur fasse peur. Malgré ça, Frodon ne se laisse pas aller à sa peine, il est déjà en marche, il accomplira sa tâche coûte que coûte. La détresse que l’on peut voir sur son visage alors qu’une larme coule le long de sa joue n’en est que plus puissante.


Le dernier combat de Boromir :
Comme l’annonçait sa réaction à la chute de Gandalf, Boromir, malgré les soupçons qui pèsent contre lui, est un homme bon et noble. Dans cette scène, il se sacrifie en tentant de secourir Merry et Pippin. Il se bat jusqu’au bout et continue de répliquer après avoir été percé de plusieurs flèches. Sa bravoure est mise à l’honneur dans cette scène qui joue avec les ralentis comme pour retarder le moment inévitable de sa mort. Cette scène n’apparaît pas dans le livre. Aragorn trouve Boromir blessé mais son combat n’est pas décrit. Leur dernier échange a été étoffé pour montrer l’allégeance de Boromir à son roi. Cette scène est un ajout par rapport au texte d’origine mais c’est une “amélioration” car, malgré les défauts et les faiblesses du personnage, la mort glorieuse de Boromir mérite d’être montrée.




La chevauchée des Rohirrims :
Pour cette scène, c’est l’acteur Bernard Hill qui a eu l’idée du discours de Théoden avant la chevauchée. Une bonne idée car elle donne plus de puissance à la scène et une certaine anticipation quant à ce qui va se passer. Encore une fois le film fait montre d’une grande beauté stylistique avec le déploiement de cette cavalerie au lever du soleil. Les armures brillent, les lances se soulèvent, les cors sonnent, les cris de guerre résonnent et l’on a le souffle coupé. La musique nous emporte dans cette chevauchée et se stoppe net avec le choc des deux armées. Comment les personnages vont se sortir de cette terrible bataille ? Vont-ils seulement s’en sortir ? La version longue ajoute une touche bienvenue à la fin de la bataille lorsqu’Eomer trouve sa sœur étendue parmi les soldats tombés. Le jeu de Karl Urban frappe de douleur et de détresse en dépeignant ce farouche guerrier qu’est Eomer en proie aux larmes.




Le voyage se poursuit sans fin
Bien d’autres moments très attendus ont été réalisé avec brio. En effet, scène culte s’il en est, le “Je ne peux le porter pour vous mais je peux vous porter vous” de Sam est célèbre ! Tout comme le final aux Havres Gris qui voit Frodon quitter la Terre du Milieu aux côtés de Bilbon et Gandalf.  C’est alors que Sam hérite du grand livre rouge dans lequel l’histoire de Bilbon et celle de Frodon sont relatées. “La route se poursuit sans fin” en effet car Frodon laisse à Sam le soin de remplir les dernières pages.

Certains ont pu être déçus de ne pas voir telle ou telle scène dans le film alors, s’ils ne l’ont pas encore fait, qu’ils regardent la version longue qui offre bien des minutes supplémentaires à ceux qui n’en ont jamais assez ! Parmi les scènes ajoutées intéressantes : Galadriel distribuant ses présents à la communauté et l’expression touchante de Gimli quand il révèle qu’elle lui a offert trois cheveux d’or quand il n’avait osé en demander qu’un. Dans Les Deux Tours, Peter Jackson nous offre une entrevue de la famille de Boromir et nous permet de voir les deux frères ensemble avant que l’aîné ne parte pour Fondcombe. Enfin, pour les romantiques, Le Retour du Roi s’est vu offrir la jolie rencontre entre Eowyn et Faramir (cf. "La Blanche Dame et le Capitaine") dans les maisons de guérison.
 
L’édition version longue offre aussi de nombreux bonus très intéressants pour en apprendre plus sur Tolkien, son monde et la façon dont il a été transposé à l’écran.
 
La conception de ces films aura été une épopée non moins difficile que celle racontée à l’écran et Peter Jackson a dit, je crois, très justement : “It was made with love. It was made with great care and commitment and I do genuinely think that this spirit has made its way on to the screen.” L’amour et la dévotion engagés dans la création de ces films transparaît en effet à l’écran car malgré une histoire qui se déroule dans un monde de fantasy, Peter Jackson a atteint son but : il a su offrir la Terre du Milieu au cinéma dans toute son authenticité, toute sa magie et toute sa profondeur.

Références :
Toutes images et citations de cet article viennent de l’édition version longue des films et des bonus du Seigneur des Anneaux réalisé par Peter Jackson.

 
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