Bilbo

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- "Don't be alone, Doctor" : les femmes de Doctor Who

- Penny Dreadful : une nouvelle ligue de héros extraordinaires

- Tolkien et les forêts de la Terre du Milieu

- Les gentlemen en tous genres (ou pas) des sœurs Brontë

- Field of Dreams : des rêves et des hommes

- Une touche de Jane Eyre et une pincée des Hauts de Hurlevent dans la recette du Jardin Secret

- Les héroïnes en tous genres de Jane Austen

NB : Le référencement des illustrations est en cours... mais ça risque de prendre un peu de temps !

The translation of some articles into English is in progress and will soon be available.

dimanche 29 juillet 2012

Les gentlemen en tous genres de Jane Austen




Jane Austen, ses gentlemen, ses scoundrels !
Parmi les six romans de Jane Austen, il nous est donné de rencontrer bien des personnages différents. Certains auxquels l'on s'attache irrévocablement et d'autres que l'on adore détester ! Le titre de cet article l'aura annoncé, ce sont ses personnages masculins qui m'intéressent. Gentlemen ou canailles, ils sont tous très différents les uns des autres et Jane Austen semble mettre un point d'honneur à confronter, dans chacun de ses romans, des tempéraments diamétralement opposés. Raison et Sentiments est, en 1811, le premier à paraître. Pour héroïnes, il met en scène les sœurs Dashwood, Elinor et Marianne. Face à elles, trois gentlemen (ou pas !), Edward Ferrars, John Willoughby de Allenham et le colonel Brandon. Puis, en 1813, c'est le tour d'Orgueil et Préjugés, probablement le préféré de tous. Ce dernier nous montre la douce Jane Bennet tomber amoureuse du chaleureux Charles Bingley, tandis que sa sœur, Elizabeth, affronte le ténébreux Mr Darcy ! L'année suivante est publié Mansfield Park qui nous présente une héroïne souvent considérée comme moins attachante car, il est vrai, quelque peu discrète. Parente pauvre des Bertram, Fanny Price vit dans leur demeure de Mansfield Park et y développe des sentiments bien plus forts que de la simple amitié pour son cousin Edmund. Mais, quand arrivent les Crawford, c'est tout l'univers de Fanny qui est chamboulé... L'héroïne suivante est bien plus extravertie, ce qui lui apportera quelques ennuis... Emma fait son apparition en 1815 dans le roman du même nom et s'y emploie à marier les gens de sa petite ville de Highbury au grand désespoir de son plus proche ami, et plus sévère critique, Mr Knightley. Les deux derniers romans paraissent tous deux en 1818 à titre posthume. Northanger Abbey est l'histoire de la rêveuse Catherine Morland qui se repaît d'aventures en lisant des romans avant d'y goûter elle-même dans l'effrayante demeure de Mr Tilney... Puis, comme on le dirait au pays de Jane, last but not least, Persuasion, dans lequel Anne Elliot se trouve, après huit ans, de nouveau face au Capitaine Frederick Wentworth, lequel s'était retrouvé le cœur brisé après qu'elle eut mis fin à leurs fiançailles sous la pression de sa famille. Demeure le cas particulier de Sanditon que Jane Austen, souffrante, n'a pu achevé avant sa mort. Nous pouvons le lire aujourd'hui, terminé par another lady. Ce roman raconte l'histoire de Charlotte Heywood invitée pour l'été par les Parker dans la petite station balnéaire de Sanditon. Elle y rencontrera bien de nouvelles têtes et parmi elles, le frère de son hôte, Sidney Parker. Hommes d'honneur et gredins se mesurent les uns aux autres pour les beaux yeux de nos héroïnes et pour notre plus grand plaisir !

Northanger Abbey ou l'humour de Mr Tilney
Northanger Abbey c'est l'histoire de Catherine Morland, une jeune fille qui mène une vie simple au sein d'une grande fratrie. Son père étant pasteur, la famille, qui compte dix enfants, n'a pas énormément de ressources. En revanche, Mr et Mrs Allen, leurs voisins, ont de l'argent et pas d'enfant. Alors, quand ils partent à Bath pour soigner la goutte de Mr Allen, c'est tout naturellement qu'ils invitent Catherine à les accompagner. Et ce voyage va changer sa vie à jamais... En effet, c'est à l'occasion d'une visite aux Lower Rooms que Catherine fait la connaissance du jeune Henry Tilney. Mr Tilney est sans nul doute le plus drôle de toutes les créations masculines de Jane Austen et, à travers lui, le ton souvent ironique de l'auteure s'exprime à merveille ! Dès les premiers instants de leur rencontre, Henry Tilney montre à Catherine toute l'étendue de son humour en faisant la critique subtile de leur société et de ses règles si pointilleuses. Alors qu'ils dansent leur toute première danse, ils commentent leur conversation et le fait que certains points de discussions sont des passages obligés pour conclure par :
"'Now I must give one smirk, and then we may be rational again.' Catherine turned away her head, not knowing whether she might venture to laugh. 'I see what you think of me,' said he gravely - 'I shall make but a poor figure in your journal tomorrow.'
'My journal!'
'Yes, I know exactly what you will say: Friday, went to the Lower Rooms; wore my sprigged muslin robe with blue trimmings - plain black shoes - appeared to much advantage; but was strangely harassed by a queer, half-witted man, who would make me dance with him, and distressed me by his nonsense.'
'Indeed I shall say no such thing.'
'Shall I tell you what you ought to say?'
'If you please.'
'I danced with a very agreeable young man, introduced by Mr King; had a great deal of conversation with him - seems a most extraordinary genius - hope I may know more of him. That, madam, is what I wish you to say.'
'But, perhaps, I don't keep a journal.'"
Catherine et Henry sympathisent très vite. Ils plaisantent ensemble et l'on comprend qu'ils sont sur la même longueur d'onde. Mais bien vite, un autre jeune homme va faire son entrée dans la vie de Catherine, John Thorpe. Et c'est donc à ce personnage que Tilney est opposé en premier lieu. Il est en quelque sorte un rival, bien que Catherine ne s'intéresse pas à lui. Thorpe non plus d'ailleurs. En réalité, il est intéressé par l'argent que Catherine pourrait lui apporter s'ils se mariaient. En effet, Thorpe pense que Catherine est la protégée de Mr Allen et qu'elle sera donc bénéficiaire de sa générosité. Mais Catherine le dit elle même, s'il était très gentil de la part des Allen de l'inviter à Bath, ni elle, ni les autres membres de sa famille n'attendent rien d'eux. En cela Thorpe se rapproche du général Tilney, le père d'Henry, qui invite Catherine à Northanger Abbey pensant que sa soit-disant fortune fait d'elle une bonne prétendante pour son fils. Quand il se rend compte de la véritable condition de Catherine, il la chasse de chez lui. Henry Tilney, au contraire, va défier son père, au risque d'être déshérité, pour pouvoir épouser Catherine.
Mais Northanger Abbey, c'est aussi un pastiche des romans gothiques de l'époque comme Les mystères d'Udolphe que lit l'héroïne. Ainsi, puisque la famille d'Henry a pour demeure une abbaye, Northanger Abbey, Henry Tilney ne se prive pas de décrire sa maison aux dépends de Catherine dont il connaît les lectures romanesques !
"'To be sure, I have. Is not it a fine old place, just like what one reads about?'
'And are you prepared to encounter all the horrors that a building such as "one reads about" may produce? Have you a stout heart? Nerves fit for sliding panels and tapestry?'
'Oh! yes - I do not think I shoud be easily frightened, because there would be so many people in the house - and besides, it has never been uninhabited and left deserted for years, and then the family come back to it unawares, without giving any notice, as generally happens.'
'No, certainly. We shall not have to explore our way into a hall dimly lighted by the expiring embers of a wood fire - nor be obliged to spread our beds on the floor of a room without windows, doors, or furniture. But you must be aware that when a young lady is (by whatever means) introduced into a dwelling of this kind, she is always lodged apart from the rest of the family. While they snugly repair to their own end of the house, she is formally conducted by Dorothy, the ancient housekeeper, up a different staircase, and along many gloomy passages, into an apartment never used since some cousin or kin died in it about twenty years before. Can you stand such a ceremony as this? Will not your mind misgive you when you find yourself in this gloomy chamber - too lofty and extensive for you, with only the feeble rays of a single lamp to take in its size - its walls hung with tapestry exhibiting figures as large as life, and the bed, of dark green stuff or purple velvet, presenting even a funereal appearance? Will not your heart sink within you?'
'Oh! But this will not happen to me, I am sure.'
'How fearfully will you examine the furniture of your apartment! And what will you discern? Not tables, toilettes, wardrobes, or drawers, but on one side perhaps the remains of a broken lute, on the other a ponderous chest which no efforts can open, and over the fireplace the portrait of some handsome warrior whose features will so incomprehensibly strike you, that you will not be able to withdraw your eyes from it. Dorothy meanwhile, no less struck by your appearance, gazes on you in great agitation, and drops a few unintelligible hints. To raise your spirits, moreover, she gives you to understand that the part of the abbey you inhabit is undoubtedly haunted, and informs you that you will not have a single domestic within call. With this parting cordial she curtsies off - you listen to the sound of her receding footsteps as long as the last echo can reach you - and when, with fainting spirits, you attempt to fasten your door, you discover, with increased alarm, that it has no lock.'"
Si les descriptions peuvent parfois le laisser croire, Northanger Abbey n'est pas un vrai roman gothique et le ton moqueur de Mr Tilney nous le montre bien ! Mais, nous sommes ici pour parler gentlemen ! Le trait de caractère qui fait le charme de Mr Tilney est son humour et Jane Austen met l'accent sur ce point en le confrontant à des personnages qui en sont totalement dépourvus, à commencer par le père d'Henry, le général Tilney. C'est un personnage froid, cruel, dont l'indifférence a fait le malheur de son épouse et fait, encore aujourd'hui, celui de ses enfants. Tous, sauf peut être l'aîné d'entre eux, le capitaine Frederick Tilney qui semble marcher dans les traces de son père. Celui-ci joue de ses charmes pour arriver à ses fins, ce qu'il arrive sans peine à faire avec Miss Thorpe que sa quête d'un époux fortuné aura égarée...
Le général sert donc plusieurs buts. D'une part, il joue le rôle du monstre pour l'aspect pastiche de roman gothique de Northanger Abbey. En effet, Catherine trouvant les conditions de la mort de Mrs Tilney étranges, elle va jusqu'à s'imaginer que le général aurait pu assassiné sa femme ou, tout du moins, ne pas lui donner les soins requis par son état. Et, à côté de ça, il est un formidable contraste pour mettre en avant le caractère joyeux et comique de Mr Tilney qui, contrairement à son frère aîné, se démarque bel et bien de son père sur ce point. Les personnages de Jane Austen sont, selon l'histoire, plus ou moins léger, mais Henry Tilney est de loin celui qui a le plus d'humour à revendre !
Ci-dessus, deux extraits de l'adaptation pour ITV de 2007 avec Felicity Jones et J.J. Feild

Mansfield Park ou les illusions d'Edmund
Mansfield Park est centré sur la jeune Fanny Price, issue d'une famille pauvre de Portsmouth. Cependant la sœur de Mrs Price est elle très bien établie en tant que Lady Bertram de Mansfield Park. Afin que sa fille bénéficie d'une bonne éducation, et parce que la famille ne dispose pas de ressources suffisantes pour tous ses enfants, Mrs Price envoie sa fille aînée Fanny vivre chez sa tante dans l'imposante demeure. Fanny y devient le souffre douleur de Mrs Norris, sa deuxième tante, une femme revêche et mesquine. Son seul véritable ami y est son cousin Edmund. Bien vite, l'affection de Fanny pour son cousin se transforme en amour. Du côté d'Edmund cependant, rien ne change. Il traite Fanny comme sa sœur, comme la préférée de ses sœurs, puisqu'il semble plus proche d'elle que de Maria ou Julia.
"My dear Fanny, you feel these things a great deal too much. I am most happy that you like the chain, and that it should be here in time for tomorrow: but your thanks are far beyond the occasion. Believe me, I have no pleasure in the world superior to that of contributing to yours. No, I can safely say I have no pleasure so complete, so unalloyed. It is without a drawback."
Fanny se serait sûrement contentée de sa situation n'eut-ce été l'arrivée inattendue de Henry et Mary Crawford dans le voisinage. Dès l'arrivée de Miss Crawford, Edmund semble devenir aveugle à toutes autres choses à tel point qu'il se cache même derrière son sens du devoir en acceptant de tenir un rôle dans une pièce légère organisée par son frère aîné afin d'éviter à Miss Crawford de jouer avec un inconnu - ce qui ne serait pas convenable. Il n'arrive même pas à voir qui elle est vraiment puisqu'il trouve toujours des excuses à ce qu'elle dit ou fait. Il va jusqu'à la comparer à sa cousine bien aimée :
"I would not have the shadow of a coolness between the two whose intimacy I have been observing with the greatest pleasure, and in whose characters there is so much general resemblance in true generosity and natural delicacy as to make the few slight differences, resulting principally from situation, no reasonable hindrance to a perfect friendship. I would not have the shadow of a coolness arise,' he repeated, his voice sinking a little, 'between the two dearest objects I have on earth."
Et alors on ne peut s'empêcher de penser "Pourquoi Miss Crawford plutôt que Fanny dans ce cas ? Ouvre les yeux, Edmund !" Ce qu'Edmund voit en Mary Crawford est un mirage et il tombe de haut quand il s'en rend compte :
"That the manner in which she considered the dreadful crime committed by her brother and my sister (with whom lay the greater seduction I pretended not to say) but the manner in which she spoke of the crime itself, giving it every reproach but the right, considering its ill consequeces only as they were to be braved or overborne by a defiance of decency and impudence in wrong; and, last of all, and above all, recommending to us a compliance, a compromise, an acquiescence in the continuance of the sin, on the chance of a marriage which, thinking as I now thought of her brother, should rather be prevented than sought - all this together most grievously convinced me that I had never understood her before, and that, as far as related to mind, it had been the creature of my own imagination, not Miss Crawford, that I had been too apt to dwell on for many months past."
Miss Crawford était un mirage et quand il le reconnaît enfin, Edmund "exactly at the time when it was quite natural that it should be so, and not a week earlier" comprend que c'est bien Fanny qui est faite pour lui. Puisqu'il fait souffrir notre petite héroïne et se fait berner par une autre, Edmund n'est sans doute pas le héros de Jane Austen le plus populaire mais on trouve face à lui un sacré numéro, "a scoundrel" as Jane would say ! Le frère de Miss Crawford en fait, Henry Crawford.
En effet, question sens du devoir, Henry Crawford est tout ce qu'Edmund n'est pas. Ce qu'Henry aime par dessus tout c'est se sentir désiré et c'est pour cela que son activité favorite est de jouer à de petits jeux de séduction. Peu lui importe de devenir la cause de querelle entre deux sœurs ou encore de s'immiscer entre Maria Bertram et son fiancé. La pièce organisée par Tom est donc une opportunité rêvée pour lui car cela lui permet de séduire en toute impunité, derrière le masque de l'acteur. Mais, comme si cela ne lui suffisait pas, Henry Crawford veut aussi s'attirer les faveurs de Fanny. Il est semble-t-il passé maître dans l'art de créer des illusions, au point d'en devenir la victime ? Car avec Fanny, c'est lui qui se berce d'illusions. L'illusion qu'il pourrait être un bon époux pour Fanny, l'illusion qu'il pourrait renoncer au style de vie qu'il a mené jusque là. Ces illusions se brisent assez rapidement quand, après avoir juré constance et fidélité à Fanny, il s'enfuit avec Maria, devenue Mrs Rushworth. Bien qu'ils eurent été deux à commettre l'irréparable, Henry Crawford a mené la famille Bertram jusqu'au scandale d'un adultère et d'un divorce, le tout en oubliant Fanny aussi vite qu'il avait décidé d'en faire sa femme, preuve irréfutable de son inconstance !
Malgré quelques petits écarts dus à Mary Crawford, l'inconstance n'est pas quelque chose que l'on peut reprocher à Edmund. Il accorde à Fanny son soutien et son amour même si celui-ci reste longtemps simplement fraternel.
Ci-dessus, un extrait de l'adaptation de 1999 qui, si elle diffère énormément du roman, offre à Fanny une belle déclaration :
"Fanny, I must confess something. I've loved you all my life."
"I know, Edmund."
"No, Fanny. As a man loves a woman. As a hero loves a heroine."
Les mots ne sont peut être pas dans le roman mais ils sont bien dignes d'un gentleman de Jane Austen !


Et, un extrait de la version de 2007

Raison et Sentiments ou la force tranquille du Colonel Brandon et l'impasse d'Edward
Dans Raison et Sentiments, qui est le premier roman de Jane Austen à être publié, nous avons deux héroïnes. Deux jeunes femmes qui viennent de perdre leur père. Le deuil est déjà une épreuve en soi mais celui des sœurs Dashwood va s'accompagner de bien des obstacles. Puisque les biens de leur père ne leur sont pas transmissibles et doivent revenir exclusicvement à leur frère aîné, né d'un précédent mariage, Mrs Dashwood et ses trois filles vont se voir dans l'obligation de quitter Norland Park pour un cottage du Devonshire. Elles qui étaient habituées à une grande maison et à ne manquer de rien vont devoir changer totalement leur mode de vie.
L'aînée des demoiselles Dashwood, Elinor, est la raison alors que Marianne est les sentiments. Alors que la seconde se laisse aller à rêver et s'emporte très facilement, la première garde la tête sur les épaules en toutes circonstances. Cependant, avant qu'elle ne parte pour le Devonshire, Elinor et sa famille - ainsi que John et Fanny, les nouveaux propriétaires - reçoivent la visite de Mr Edward Ferrars, le frère de Fanny. Les deux jeunes gens ne semblent pas insensibles à cette rencontre et passe la majeure partie de leur temps ensemble. Mais quand vient le moment du départ, rien. Pas de demande en mariage de la part d'Edward, ni la moindre petite déclaration et Elinor s'en va, le cœur lourd. Edward viendra leur rendre une courte visite dans leur cottage mais là encore, rien. La situation est même pire puisqu'Edward se montre d'humeur morose et ne semble pas apprécier sa visite...
"Elinor saw, with great uneasiness, the low spirits of her friend. His visit afforded her but a very partial satisfaction, while his own enjoyment in it appeared so imperfect. It was evident that he was unhappy; she wished it were equally evident that he still distinguished her by the same affection which once she had felt no doubt of inspiring; but hitherto the continuance of his preference seemed very uncertain; and the reservedness of his manner towards her contradicted one moment what a more animated look had intimated the preceding one." 

Qu'est-il venu faire ici, loin de chez lui, si ce n'était pas pour demander la main d'Elinor ? Celle-ci va vite l'apprendre après avoir fait la connaissance de Lucy Steele, qui lui apprend en toute confidence qu'elle est secrètement fiancée à Edward depuis déjà plusieurs années. Elinor comprend soudain mieux les choses et accepte le fait que, malgré les sentiments qu'il pourrait éprouver, Edward n'aura jamais la possibilité de les exprimer. Il est dans une impasse, et il n'est pas le seul...
Pendant ce temps, deux autres gentlemen (ou presque) ont fait leur apparition. Le colonel Christopher Brandon est bien établi et possède son propre domaine, Delaford. Il est un ami des Middleton, dont le chef de famille, Sir Middleton, est le cousin de Mrs Dashwood qui leur loue le cottage pour un loyer très modéré. Mais, selon Marianne, le colonel a un grave défaut. Il a trente-cinq ans, ce qui est bien vieux pour la jeune fille de dix-sept ans qu'elle est ! Plus proche d'elle en âge, et apparemment en toutes choses, se présente Mr John Willoughby de Allenham. Il vient au secours de Marianne après qu'elle ait fait une chute et la ramène jusque chez elle en la portant dans ses bras - ce qui ne peut manquer de faire palpiter son petit cœur romantique ! Le problème c'est que le comportement de Marianne en la compagnie de Willoughby manque quelque peu de bienséance... et elle s'expose à des remarques impertinentes dans le monde, comme dirait Elinor. Mais ça, Marianne n'en a cure. Les sentiments qu'elle ressent sont trop forts pour les cacher ! Son histoire avec Willoughby semble bien partie et pourtant, tout bascule quand celui-ci se voit contraint de quitter la région après que sa tante ait choisi de léguer ses biens à un autre neveu. Willoughby quitte donc Marianne et le Devonshire alors qu'ils semblait sur le point de faire sa demande. Décidément, rien ne va pour les sœurs Dashwood !
Mais alors où est le scoundrel dans tout ça ? Elinor et Marianne vont l'apprendre assez vite alors que Mrs Jennings les invite à séjourner quelques temps à Londre avec elle. Marianne est folle de joie car elle s'attend à y voir Willoughby. Elle lui écrit plusieurs lettres afin de l'informer de sa venue mais toutes restent sans réponse... Ce n'est que lors d'un bal que leurs chemins se croisent de nouveau. Willoughby se montre très distant et ça Marianne ne le comprend pas, elle est perdue. Peu de temps après, elle reçoit une lettre dans laquelle Willoughby s'excuse de lui avoir donné de faux espoirs. Telle n'était pas son intention et son affection appartient déjà à quelqu'un d'autre. A cette lettre, il joint toutes les lettres de Marianne, ainsi que la boucle de cheveu qu'elle lui avait offerte. Marianne se sent abandonnée et elle a du mal à comprendre pourquoi. La réalité de la situation est bien moche et elle va clairement opposer le caractère de Willoughby à celui de Brandon. Brandon va nous apprendre que Willoughby se trouve lui aussi dans une impasse... Mais, alors qu'Edward se trouve dans une impasse pour tenir une promesse faite à quelqu'un, Willoughby lui se trouve dans une impasse pour avoir menti à quelqu'un. Après qu'il eut séduit une jeune fille, celle-ci est tombée enceinte et sa tante et bienfaitrice ayant eu vent de l'affaire, elle l'a déshérité et Willoughby a donc abandonné Marianne pour se trouver une riche fiancée - Miss Grey, £50,000. Ainsi, Edward demeur fidèle à une jeune femme malgré des sentiments qui se tournent vers une autre alors que Willoughby préfère aller là où est l'argent, blessant au passage plusieurs personnes. Cependant, cette histoire ne l'oppose pas seulement à Edward mais à un autre gentleman, le colonel Brandon. Parce que vous l'aurez bien compris, dans l'histoire c'est Willoughby le scoundrel. Si le colonel Brandon s'intéresse de près à cette histoire ce n'est pas seulement parce qu'il a les intérêts de Marianne à cœur mais bien parce que la situation le touche personnellement. En effet, dans sa jeunesse, il était amoureux d'une jeune fille, Eliza. Mais celle-ci a été mariée à son frère aîné alors qu'il n'y avait pas d'affection entre eux. Les deux époux finissent par divorcer et Eliza disparaît de la bonne société. Brandon finit par la retrouver enceinte et mourante et il lui jure de s'occuper de l'enfant à sa place. Alors quand la jeune fille disparaît à son tour, c'est l'horreur pour Brandon. Le schéma se reproduit, elle s'est laissée séduire et se retrouve abandonnée et enceinte de, vous l'aurez deviné, Willoughby.
Cette histoire nous montre que Brandon a une fidélité à toute épreuve. Il est resté fidèle à Eliza même après son mariage et il est resté fidèle à ses dernières volonté, faisant tout ce qui était en son pouvoir pour le bien de sa pupille. Il a un faible pour les tempéraments vifs et romantiques comme celui de Marianne, qui lui rappelle Eliza, bien que leurs histoires soient très différentes.
"If I am not deceived by the uncertainty, the partiality of tender recollection, there is a very strong resemblance between them, as well in mind as person. The same warmth of heart, the same eagerness of fancy and spirits. [...] I cannot remember the time when I did not love Eliza; and my affection for her, as we grew up, was such, as perhaps, judging from my present forlorn and cheerless gravity, you might think me incapable of having ever felt."
Alors que Brandon et Edward sont fidèles, l'un à un amour perdu, l'autre à une femme qu'il n'aime plus mais à qui il a fait une promesse qu'il entend tenir, Willoughby est avant tout fidèle à ses propres intérêts. Il préfère sacrifier une éventuel bonheur avec Marianne plutôt que son bien être matériel. La façon dont il réagit face à l'impasse l'oppose clairement à Edward qui lui agit selon sa conscience et son honneur. Quant à la façon dont il abandonne Marianne après lui avoir clairement signifié ses intentions de mariage, l'oppose à la fidélité à toutes épreuves du colonel Brandon. Là où chez certains il y a une force, chez d'autres il y a faiblesse.
Cette opposition est accentuée dans l'adaptation d'Ang Lee qui, paradoxalement, rapprochent les personnages en mettant en scène Brandon dans le rôle du sauveur à la fin du film, faisant ainsi le parallèle avec la façon dont Willoughby est introduit au début de l'histoire. Ainsi, comme Willoughby porte Marianne jusqu'au cottage après qu'elle se soit foulée la cheville, Brandon la porte à son tour jusqu'à la demeure des Palmer après sa longue promenade sous la pluie. Cet ajout a d'ailleurs été repris par une adaptation plus récente, en trois épisodes par la BBC. Il est vrai que l'évolution de la relation de Marianne et Brandon a besoin d'être étoffée car elle apparaît peu dans le roman. Dans le même ordre d'idée, ces deux adaptations nous montrent Edward faire sa demande à Elinor de façon très similaires alors que le roman en fait état très rapidement. Bien que des ajouts par rapport au texte initial, ces scènes sont indispensables pour clôturer efficacement chacune de ces deux histoires. Et un peu de romance ne peut pas faire de mal... pas même à Elinor !
Ci-dessus Alan Rickman et Kate Winslet (Brandon et Marianne), ainsi qu'Emma Thompson et Hugh Grant (Elinor et Edward) dans la version de 1995

Orgueil et Préjugés ou l'apparente hostililité de Mr Darcy et la simple gentillesse de Mr Bingley
Orgueil et Préjugés est sans nul doute le plus connu et le plus chéri des romans écrits par Jane Austen. D'ailleurs lorsqu'on mentionne l'auteure, c'est à lui que l'on pense en premier. Son succès, il le doit sans doute à ses deux personnages principaux qui sont parmi les plus appréciés de la littérature. Elizabeth Bennet est la deuxième fille de cinq sœurs. Tout commence quand un riche gentleman s'installe dans le domaine voisin de Netherfield Park. Mrs Bennet entend bien lui faire épouser une de ses cinq filles et fait donc tout pour que les deux familles se fréquentent.
Considérée comme la plus belle des cinq sœurs, c'est l'aînée, Jane, qui accroche le regard de Mr Bingley mais comme c'est toujours le cas chez Jane Austen, tout ne sera pas si simple... Cependant, si elle a une importance non négligeable pour l'intrigue, l'histoire de Jane et Bingley n'est qu'une trame secondaire à celle d'Elizabeth. Car, en effet Mr Bingley n'est pas venu seul à la campagne... mais accompagné de ses sœurs et surtout de son bon ami, Mr Darcy. A son arrivée, celui-ci ne fait pas bonne impression au sein de la famille Bennet. Tous le jugent hautain et orgueilleux et cela ne change pas quand Elizabeth surprend une conversation dans laquelle, malgré le conseil de Bingley, il refuse de l'inviter à danser déclarant: "She is tolerable; but not handsome enough to tempt me; and I am in no humour at present to give consequence to young ladies who are slighted by other men." Et pourtant le si froid Mr Darcy en apparence, brûle d'une grande passion pour la jeune femme. Passion qu'il ne tarde pas à lui révéler : 
"In vain have I struggled. It will not do. My feelings will not be repressed. You must allow me to tell you how ardently I admire and love you."
Cette déclaration et cette demande surprennent et la façon dont elles sont faites peut être encore plus car Darcy n'y va pas avec des gants !
"Elizabeth's astonishment was beyond expression. She stared, coloured, doubted, and was silent. This he considered sufficient encouragement, and the avowal of all that he felt and had long felt for her, immediately followed. He spoke well, but there were feelings besides those of the heart to be detailed, and he was not more eloquent on the subject of tenderness than of pride. His sense of her inferiority - of its being a degradation - of the family obstacles which judgement had always opposed to inclination, were dwelt on with warmth which seemed due to the consequence he was wounding, but was very unlikely to recommend his suit.
In spite of her deeply-rooted dislike, she could not be insensible to the compliment of such a man's affection, and though her intentions did not vary for an instant, she was at first sorry for the pain he was to receive; till, roused to resentment by his subsequent language, she lost all compassion in anger. She tried, however, to compose herself to answer him with patience, when he should have done. He concluded with representing to her the strength of that attachment which, in spite of all his endeavours, he had found impossible to conquer; and with expressing his hope that it would now be rewarded by her acceptance of his hand. As he said this, she could easily see that he had no doubt of a favourable answer. He spoke of apprehension and anxiety, but his countenance expressed real security.
Such a circumstance could only exasperate farther, and when he ceased, the colour rose into her cheeks, and she said, 'In such cases as this, it is, I believe, the established mode to express a sense of obligation for the sentiments avowed, however unequally they may be returned. It is natural that obligtaion should be felt, and if I could feel gratitude, I would now thank you. But I cannot - I have never desired your good opinion, and you have certainly bestowed it most unwillingly. I am sorry to have occasioned to anyone. It has been most unconsciously done, however, and I hope will be of short duration. The feelings which, you tell me, have long prevented the acknowledgement of your regard, can have little difficulty in overcoming it after this explanation.'"
En plus de cela, à ce moment de l'histoire, Elizabeth ne le tient vraiment pas en haute estime. D'abord, parce que son intervention auprès de Mr Bingley est ce qui a convaincu ce dernier de quitter le Hertfordshire et, par la même occasion, Jane. Mais ce n'est pas tout... L'arrivée de Mr Wickham, jeune homme fort aimable et fort charmant - tout le contraire de Mr Darcy donc - ne fait qu'accentuer la situation car il a des choses fort désagréables à révéler sur ce personnage. Il raconte à Elizabeth comment Darcy l'a privé d'un héritage que le défunt père de celui-ci lui avait promis. Wickham lui attribue donc tous ses malheurs et, aveuglée par ses préjugés, Elizabeth le croit. Ainsi, ce qui commençait comme une demande en mariage finit en règlement de comptes !
"At length, in a voice of forced calmness, he said, 'And this is all the reply which I am to have the honour of expecting! I might, perhaps, wish to be informed why, with so little endeavour at civility, I am thus rejected. But it is of small importance.'
'I might as well enquire,' replied she, 'why with so evident a design of offending and insulting me, you chose to tell me that you liked me against your will, against your reason, and even against your character? Was not this some excuse for incivility, if I was uncivil? But I have other provocations. You know I have. Had not my own feelings decided against you, had they been indifferent, or had they even been favourable, do you think that any consideration would tempt me to accept the man, who has been the means of ruining, perhaps for ever, the happiness of a most beloved sister? [...] But it is not merely this affair,' she continued, 'on which my dislike is founded. Long before it had taken place, my opinion of you was decided. Your character was unfolded in the recital which I recieved many months ago from Mr Wickham. On this subject, what can you have to say? [...] You have reduced him to his present state of poverty, comparative poverty. You have withheld the advantaged, which you must know to have been designed for him. You have deprived the best years of his life, of that independence which was no less his due than his desert. You have done all this! and yet you can treat the mention of his misfortunes with contempt and ridicule.'
'And this,' cried Darcy, as he walked with quicl steps across the room, 'is your opinion of me! [...] My faults, according to this calculation, are heavy indeed! But perhaps,' added he, stopping in his walk, and turning towards her, 'these offenced might have been overlooked, had not your pride been hurt by my honest confession of the scruples that had long prevented my forming any serious design. These bitter accusations might have been suppressed, had I with greater policy concealed my struggles, and flattered you into the belief of my being impelled by unqualified, unalloyed inclination; by reason, by reflection, by everything. But disguise of every sort is my abhorence. Nor am I ashamed of the feelings I related. They were natural and just. Could you expect me to rejoice in the inferiority of your connections? To congratulate myself on the hope of relations, whose condition in life is so decidedly beneath my own?'
Elizabeth felt herself growing more angry every moment; yet she tried to the utmost to speak with composure when she said, 'You are mistaken, Mr Darcy, if you suppose that the mode of your declaration affected me in any other way, than as it spared me the concern which I might have felt in refusing you, had you behaved in a more gentlemanlike manner.'
She saw him start at this, but he said nothing, and she continued, 'You could not have made me the offer of your hand in any possible way that would have tempted me to accept it.'
Again his astonishment was obvious; and he looked at her with an expression of mingled incredulity and mortification. She went on.
'From the very beginning, from the first moment I may almost say, of my acquaintance with you, your manners impressing me with the fullest belief of your arrogance, your conceit, and your selfish disdain of the feelings of others, were such as to form that groundwork of disapprobation, on which succeding events have built so immoveable a dislike; and I had not known you a month before I felt that you were the last man in the world whom I could ever be prevailed on to marry.'
'You said quite enough, madam. I perfectly comprehend your feelings, and have now only to be ashamed of what my own have been. Forgive me for having taken up so much of your time, and accept my best wishes for your health and happiness.'
Cependant, sa bonne impression de Wickham va être bouleversé quand Mr Darcy lui révèle dans une lettre sa propre version de l'histoire. En réalité, Wickham a lui-même renoncé à son héritage - une cure qui devait lui permettre de s'établir en tant que pasteur - contre une compensation financière. Après avoir tout dilapidé, Wickham revient vers Darcy pour obtenir plus d'argent, que celui-ci lui refuse. Alors il essaye de s'attirer les faveurs de sa sœur, Georgiana Darcy, qui possède une dot importante. Quand Darcy l'apprend, il met fin à la fuite plannifiée par les "amoureux" et Wickham n'a alors plus d'autres choix que de gagner sa vie par lui-même, il s'engage donc dans la milice et arrive ainsi à Merryton et dans la vie des Bennet pour le meilleur et pour le pire... et surtout pour le pire, mais nous y viendrons plus tard. Revenons plutôt à Elizabeth et Darcy... Après cette première demande en mariage et les révélations à propos de Wickham, Elizabeth est prête à réviser son jugement mais pas complètement. Après tout Darcy est responsable d'avoir ruiné les espoirs de bonheur de Jane, et ça, elle ne l'oubliera pas facilement. Seulement, Darcy a plus d'une surprise dans son sac... En effet, lors d'un séjour dans le Peak District avec son oncle et sa tante, Elizabeth se rend sur le domaine de Darcy et visite son château de Pemberley. D'abord gênée, Elizabeth accepte de faire cette visite après qu'on lui ait affirmé que la famille n'était pas présente sur le domaine. Mais Mr Darcy rentre plus tôt que prévu et les deux protagonistes se retrouvent de nouveau face à face, pour la première fois depuis le refus d'Elizabeth. Darcy se révèle sous un nouveau jour. Il est accueillant, attentionné et prend la défense d'Elizabeth quand elle est critiquée par Miss Bingley. Un évènement particulier va les rapprocher. Pendant son séjour, Lizzie apprend que Lydia s'est enfuie avec Wickham et, paniquée, révèle l'affaire à Mr Darcy avant de rentrer chez elle en catastrophe. On ne l'apprend qu'à la fin mais, dans l'ombre, c'est Darcy qui règle toute l'affaire - fait en sorte que Wickham épouse Lydia, paie ses dettes etc. De plus, Darcy va reconnaître son erreur de jugement concernant Jane et révéler à Bingley que Jane était à Londres durant l'hiver. Tous deux vont donc se rendre à Longbourne et Bingley va pouvoir finalement laisser parler ses sentiments et demander la main de Jane - premier happy end ! Avant le deuxième, un dernier rebondissement. Lady Catherine de Bourgh, la tante de Mr Darcy, qu'Elizabeth a renconré dans le Kent, lui rend visite afin de s'entendre dire qu'il n'existe aucun engagement entre Darcy et Lizzie. Mais, quand elle demande à Lizzie de lui promettre de ne jamais accpeter un tel engagement, Lizzie refuse. Cette intervention de Lady Catherine donne à Darcy de nouvelles raison d'espérer l'amour d'Elizabeth car, selon lui, si Lizzie était sûre de ne jamais vouloir l'épouser, elle n'aurait eu aucun scrupule à l'annoncer à sa tante !
"You are too generous to trifle with me. If your feelings are still what they were last April, tell me so at once. My affections and wishes are unchanged, but one word from you will silence me on the subject for ever."
Mais les sentiments d'Elizabeth ont bien changé et c'est maintenant avec joie et envie qu'elle accueille les attentions de Mr Darcy. Finalement, malgré son apparente hostilité, Darcy se révèle être quelqu'un de bienveillant qui sait se mettre en retrait pour venir en aide à ceux qu'il chérit même si cela peut le blesser lui. Ne parlons pas de Bingley qui est lui une caricature de bienveillance ! D'ailleurs, Bingley se révèle tel qu'il est dès le début et comment croire qu'il puisse être ami avec Darcy si celui-ci était si odieux qu'il paraissait ? Il finit par nous montrer son vrai visage, révélant dans le même temps celui de Wickham, jusque là dissimulé derrière des masques. Wickham, en tant que scoundrel de l'histoire, s'oppose clairement à Darcy et Bingley car lui pense avant toutes choses à son propre intérêt, peu importe qui peut en pâtir en chemin. D'ailleurs, bien qu'il semblait beaucoup apprécier Elizabeth et, les circonstances eussent été différentes aurait sans doute fait en sorte de concrétiser ces sentiments, il s'enfuit avec Lydia, tout en sachant pertinemment qu'une tâche sur la réputation d'une des sœurs se répandrait vite aux autres. Sous ses dehors charmants, il est quelqu'un d'odieux contrairement à Darcy qui, malgré son apparence de froideur hautaine, est un gentleman doté d'un grand coeur.
 
Ci-dessus, un extrait de l'adaptation de 2005 par Joe Wright, mettant en scène Keira Knightley et Matthew MacFadyen.


Ci-dessus, un extrait de l'adaptation pour la BBC avec Jennifer Ehle et Colin Firth.

Emma ou l'honnêteté autoritaire de Mr Knightley
Emma n'est pas du genre à rester en arrière et donne d'ailleurs son nom au roman. Bien que très jeune, Emma fait partie des personnalités importantes de la petite société de Highbury. Ayant perdu sa mère jeune et sa sœur aînée étant mariée et installée à Londres, Emma vit seule avec son père et sa gouvernante, Miss Taylor. Mais Emma a un passe-temps... marier son entourage. Ainsi Miss Taylor va rapidement se retrouver avec un époux en la personne de Mr Weston. Du coup, Emma et son père demeurent les seuls habitants de Hartfield et Emma, toute jeune qu'elle est, en est la maîtresse de maison. Bien sûr, leur place privilégiée dans la société les empêche d'être totalement isolés et ils reçoivent très souvent la visite de leur voisin et ami, Mr Knightley. Les familles Woodhouse et Knightley sont proches d'autant plus que le frère cadet de Mr Knightley a épousé Isabella, la sœur aînée d'Emma. Les conversations entre Knigthley et Emma sont toujours des conversations à coeur ouvert. Knightley ne se prive pas pour dire à Emma ce qu'il pense de son attitude, qu'elle soit bonne ou mauvaise et il lui arrive régulièrement de la réprimander.
En réalité, c'est bien le mariage de Miss Taylor et Mr Weston qui marque le point où tout bascule dans a vie de ces personnages - un évènement dont les conséquences successives, aussi insignifiantes puissent-elles paraître sur le moment, vont nous emmener jusqu'au dénouement. En effet, quand Miss Taylor - pardon, Mrs Weston - part s'installer à Randall avec son époux, Emma doit se trouver une nouvelle compagne et elle décide alors d'être un mentor pour une autre jeune fille, comme Mrs Weston l'aura été pour elle jusque là. L'heureuse élue (ou pas !) est Harriet Smith, une jeune fille de parents inconnus logée depuis son enfance à l'école de Mrs Goddard. Puisqu'elle en fait son amie proche, il n'est pas étonnant de constater qu'après peu de temps Emma cherche à la marier. Elle n'est donc pas ravie de voir les sentiments d'Harriet pour Mr Robert Martin, l'un des métayers de Mr Knightley car selon Emma : "Mr Martin may be the richest of the two, but he is undoubtedly her inferior as to rank in society. The sphere in which she moves is much above his - It would be a degradation." Alors, quand celui-ci se prononce, Emma persuade Harriet de dire non et lui propose un autre soupirant en la personne de Mr Elton. C'est d'ailleurs là la première cause d'important désaccord entre Emma et Mr Knightley. Malgré sa colère, Knightley la met tout de même en garde contre Mr Elton mais Emma balaye ses remarques du revers de la main et continue selon son plan. Mais Knightley, de quinze ans son aîné, voit des choses qu'Emma ne remarque pas et il a vu en Elton une certaine perfidie. Emma, elle, est persuadée que sa stratégie fonctionne et s'attend à ce qu'Elton fasse sa demande à Harriet d'un moment à l'autre. Quelle n'est pas sa surprise quand c'est à elle que Mr Elton se déclare !
Emma est forcée de reconnaître qu'elle s'est trompée mais ses erreurs ne vont pour autant pas s'arrêter là... Elle n'a cependant pas trop le temps de se remettre en question car arrive un deuxième tournant dans les vies de Highbury. Après des années d'absence reviennent Jane Fairfax d'une part et Frank Churchill de l'autre. Frank Churchill est le fils de Mr Weston et le fait qu'il ne porte pas son nom est révélateur du caractère possessif de sa tante. En effet, à la mort de la première Mrs Weston, Mr Weston à confié la garde de son fils à sa belle-sœur, Mrs Churchill, et Frank a alors changé de nom. Il n'est jamais revenu à Highbury depuis son départ et son retour se fait attendre même après le remariage de son père. Quand il fait enfin son apparition, Mr Churchill charme tout son entourage par son naturel avenant. Seul Mr Knightley semble imperméable à son charme ! Mais il a ses raisons... Mr Churchill est depuis longtemps un objet de curiosité pour Emma alors son arrivée la ravie. Ils passent beaucoup de temps ensemble et semblent très complices. Ils prévoient d'ailleurs tous deux d'organiser un bal. Et, si celui-ci est quelques temps repoussé, il a bien lieu et est la scène de quelques révélations et retournements de situation. C'est notamment durant ce bal qu'Emma prend pleinement conscience du genre de personne qu'est Elton - Mr Knightley avait raison ! En effet, pendant le bal, Mrs Weston propose à Mr Elton d'inviter Harriet à danser car elle n'a pas de cavalier et celui-ci refuse mettant la jeune femme dans un profond embarras. C'est alors Mr Knightley qui vole à son secours et la mène sur la piste de danse. On trouve ici une première opposition entre deux gentlemen. L'un étant peut être le plus gentleman de tous les personnages masculins de Jane Austen alors que l'autre n'en a que le nom. On le comprend ici, Mr Elton pense avant tout à lui et à sa situation dans la société. Il ne ferait rien qui risquerait de lui porter préjudice et c'est bien pour cette raison qu'il s'intéresse à Miss Emma Woodhouse plutôt qu'à Harriet Smith, dont les parents inconnus pourraient être un embarras. Il se trouve donc une femme riche à Bath et s'emploie à ses côtés à regarder les gens de haut une fois de retour à Highbury et, pendant le bal, ils s'amusent tous deux de l'embarras d'Harriet après qu'il l'ait snobée. Face à lui, nous avons Mr Knightley qui, malgré la colère que lui inspire parfois l'attitude d'Emma, avait mis son amie en garde contre la bassesse d'Elton. Mr Knightley pense au bienêtre de ses proches avant de penser au sien et son amitié est infaillible, il est fidèle contrairement à Elton qui va où le vent le porte et change de direction avec lui.
Le bal est aussi l'occasion pour l'auteure de mettre Emma et Mr Knightley dans une situation différente de d'habitude. En les faisant danser ensemble, elle montre qu'il y a plus que de l'amitié entre eux car la danse est souvent dans ses romans le début d'une histoire...
"'Whom are you going  to dance with?' asked Mr Knightley.
She hesitated a moment, and then replied, 'With you, if you will ask me.'
'Will you?' said he, offering his hand.
'Indeed I will. You have shown that you can dance, and you know we are not really so much brother and sister as to make it at all improper.'
'Brother and sister! no, indeed.'"
Qu'en est-il de Frank Churchill ? Gentleman ou scoundrel ? Je dois dire que ça peut se dicuter ! Bien qu'il ne fasse pas partie du lot Wickham, Willoughby & Co. la question de Frank Churchill se pose car il s'oppose tout de même très nettement à la référence qu'est Mr Knightley dans Emma. En effet, quand après maintes péripéties, Mr Knightley se déclare enfin, il dit :
"'As a friend!' - repeated Mr Knightley. 'Emma, that I fear is a word - No, I have no wish - Stay, yes, why should I hesitate? I have gone too far already for concealment. Emma, I accept your offer - Extraordinary as it may seem, I accept it, and refer myself to you as a friend. Tell me, then, have I no chance of ever succeeding?'
He stopped in his earnestness to look the question, and the expression of his eyes overpowered her.
'My dearest Emma,' said he, 'for dearest you will always be, whatever the event of this hour's conversation, my dearest, most beloved Emma - tell me at once. Say "No" if it is to be said.' - She could really say nothing. 'You are silent,' he cried, with great animation; 'absolutely silent! at present I ask no more.'
Emma was almost ready to sink under the agitation of this moment. The dread of being awakened from the happiest dream, was perhaps the most prominent feeling.
'I cannot make speeches, Emma' - he soon resumed; and in a tone of such sincere, decided, intelligible tenderness as was tolerably convincing. 'If I loved you less, I might be able to talk about it more. But you know what I am. You hear nothing but the truth from me - I have blamed you, and lectured you, and you have borne it as no other woman in England would have borne it. Bear with the truths I would tell you now, dearest Emma, as well as you have borne with them. The manner, perhaps, may have as little to recommend them. God knows, I have been a very indifferent lover. But you understand me. Yes, you see, you understand my feelings - and will return them if you can. At present, I ask only to hear, once to hear your voice.'"
 "You hear nothing but the truth from me", c'est ce qu'il dit. Et c'est bien la qualité qui caractérise ce personnage, l'honnêteté. Souvent autoritaire, parfois teintée de colère ou au contraire de tendresse, l'honnêteté de Mr Knightley ne faillit jamais. Et c'est bien sur ce point qu'il se différencie du très attendu Frank Churchill. En effet, la propension de Frank au mensonge est révélée dès sa première apparition car Emma le croise sans savoir de qui il s'agit et ne fait sa connaissance officielle que le lendemain, jour prévu de son arrivée. Alors que faisait-il dans les environs de Highbury si ce n'était pas pour voir son père ? La question reste entière. De plus, Frank incite Emma à comploter. Puisque Jane Fairfax a reçu en cadeau un piano d'un bienfaiteur secret, tous deux la soupçonne de s'être attirée les faveurs de Mr Dixon qui doit épouser celle avec qui elle a grandit, Miss Campbell. C'est Frank qui lance Emma sur cette piste et tous deux deviennent très complices dans leur persécution de la pauvre Miss Fairfax. Mais, quand la tante possessive de Frank décède, la lumière est enfin faite sur la situation de celui-ci. Il était en vérité fiancé à Miss Fairfax depuis plusieurs mois, après qu'ils se soient rencontrés à Weymouth. Craignant la désapprobation de sa tante, les deux amoureux avaient gardé la chose secrète. Ainsi, Frank est venu à Highbury, certes pour revoir son père, mais aussi pour passer son été auprès de Jane, en vacances chez sa tante. Afin de cacher sa véritable situation, Frank passe le plus clair de son temps avec Emma, flirte avec elle, au grand désespoir de Mr Knightley et de la douce Jane Fairfax. Si la situation ne s'était pas régularisée, il y a fort à parier que Miss Fairfax aurait rompu ses fiançailles secrètes avec Frank, ne pouvant plus supporter son comportement vis à vis d'Emma. Avant que tout s'arrange avec la mort de Mrs Churchill - à l'annonce de laquelle tout le monde était bien sûr mortifié - Jane s'apprêtait d'ailleurs à accepter un poste de gouvernante et à quitter Highbury.
Ainsi, depuis son arrivée à Highbury, ce que Frank disait ou faisait, toute son attitude servaient à dissimuler sa situation et il s'est peu à peu enfoncer dans le mensonge faisant souffrir tous ceux qui tenaient à lui. D'abord Jane car sa complicité avec Emma ne pouvait que la blesser, ensuite son père et la nouvelle épouse de celui-ci à cause de son mensonge et aussi parce qu'ils avaient l'espoir de le voir épouser Emma. Pour Emma c'est d'ailleurs le coup de grâce. Elle réalise que même après avoir reconnu ses erreurs concernant Mr Elton, elle n'a pas été meilleure juge avec Mr Churchill et doit donc se remettre en question. Enfin, la complicité entre Emma et Frank aura beaucoup inquiété Mr Knighley qui commençait à voir dans l'attitude d'Emma l'influence du jeune homme, notamment lors du fameux pique-nique de Box Hill durant lequel Emma se montre grossière envers Miss Bates. La jalousie en plus, on comprend pourquoi Mr Knightley se montre distant avec Frank et ne semble pas le tenir en très haute estime. De plus, les mensonges de Frank sont contraires à ses convictions personnelles qui prônent l'honnêteté.
"Frank Churchill is, indeed, the favourite of fortune. Everything turns out for his good - He meets with a young woman at a watering-place, gains her affection, cannot even weary her by negligent treatment - and had he and all his family sought round the world for a perfect wife for him, they could not have found her superior - His aunt is in the way - His aunt dies - He has only to speak - His friends are eager to promote his happiness - He has used everybody ill - and they are all desperate to forgive him - He is a fortunate man, indeeed!"
Cependant malgré son comportement discutable, Frank n'est pas un mauvais garçon et l'on peut espérer que son attitude s'améliorera avec les années alors que concernant Mr Elton, il n'y a plus d'espoir. Il s'est révélé être quelqu'un de mesquin et ce n'est pas sa femme qui va l'aider à s'arranger ! Seul Mr Knighltley demeure une valeur sûre, un roc sur lequel s'appuyer, un mari idéal et un ami sur qui Emma pourra toujours compter.
Ci-dessus, l'interprétation de la joute verbale entre Emma et Mr Knightley dans la version de 1996 avec Gwyneth Paltrow et Jeremy Northam
Ci-dessus, la scène du bal dans la version en quatre épisodes de 2009 avec Romola Garai et Jonny Lee Miller
Ci-dessus, ces deux versions de la demande en mariage

Persuasion ou la rancune passionnée du Capitaine Wentworth
Persuasion est une histoire particulière dans la bibliographie de Jane Austen car elle y met en scène deux jeunes gens qui se sont déjà aimés et même fiancés mais qui, sous l'influence de la famille de la jeune fille, se sont séparés. Le roman reprend leur histoire huit ans plus tard, alors qu'ils se retrouvent dans des conditions particulières. La famille d'Anne ayant des problèmes d'argent se voit dans l'obligation de quitter leur demeure de Kellynch pour la louer pendant qu'ils séjourneront à Bath. La demeure va être louer à un amiral et c'est ainsi que le capitaine Wentworth refait son apparition à Kellynch. Anne en visite chez sa sœur dans le voisinage ne pourra donc pas échapper à cette gênante et douloureuse rencontre. Comme l'on pouvait s'y attendre, le capitaine Wentworth se montre froid et distant. En sa compagnie, Anne souffre en silence. Ils se rencontrent beaucoup en compagnie des Musgrove, dont les deux filles, Louisa et Henrietta, se mettent en quatre pour s'attirer les faveurs du capitaine. Laquelle Frederick choisira-t-il pour s'établir ? C'est la question que tous se posent, le sujet dont tout le monde parle, faisant souffrir le martyr à Anne.
Frederick a-t-il complètement oublié Anne, tiré un trait sur leur amour passé ? Son comportement laisse entendre le contraire car en effet, s'il avait tiré un trait sur le passé malgré la blessure infligée, pourquoi agirait-il ainsi ? Son comportement froid et distant ne fait que montrer qu'il en souffre encore huit ans après. Et malgré tout, il est, sans le laisser paraître, toujours attentif à Anne :
"The Admiral's kind urgency came in support of his wife's; they would not be refused; they compressed themselves into the smallest possible place to leave her a corner, and Captain Wentworth, without saying a word, turned to her, and quietly obliged her to be assisted into the carriage.
Yes; he had done it. She was in the carriage, and felt that he had placed her there, that his will and his hands had done it, that she owed it to his perception of her fatigue, and his resolution to give her rest. She was very much affected by the view of his disposition towards her, which all these things made apparent. This little circumstance seemed the completion of all that had gone before. She understood him. He could not forgive her, but he could not be unfeeling. Though condemning her for the past, and considering it with high and unjust resentment, though perfectly careless of her, and though becoming attached to another, still he could not see her suffer, without the desire of giving her relief. It was a remainder of former sentiment; it was an impulse of pure, though unacknowledged friendship; it was a proof of hiw own warm and amiable heart, which she could not contemplate without emotions so compounded of pleasure and pain, that she knew not which prevailed."
Pour autant, il ne semble pas du tout envisager une deuxième demande en mariage et ce sont bien les demoiselles Musgrove, Louisa en particulier, qui reçoivent ses attentions. Quand ils partent tous pour Lyme et que Louisa se blesse en tombant, Frederick reconnaît son estime pour Anne en affirmant qu'elle est la plus qualifiée pour s'occuper d'elle. Après cet incident, Anne doit rejoindre son père et sa sœur aînée à Bath pour, semble-t-il ne jamais revoir le capitaine Wentworth. Mais Jane Austen en a décidé autrement ! En effet, les fiançailles de Louisa à son ami le capitaine Benwick ont libéré Frederick d'un éventuel engagement de sa part attendu par l'entourage de la jeune fille. Ainsi, Frederick se rend à Bath mais quelqu'un essaye déjà de prendre sa place dans le coeur d'Anne. Mr Elliot, le cousin d'Anne et héritier de Sir William, avait croisé la compagnie à Lyme et a retrouvé Anne à Bath avec le plus grand plaisir. Et, puisqu'il la courtise avec plus ou moins de subtilité, Frederick n'est pas sûr d'être le bienvenu. Puisqu'il lui est impossible de parler à Anne en toute franchise avec tout le monde qui est toujours autour d'elle, Frederick lui écrit une lettre, une lettre enflammée "[that is] not to be soon recovered from" !
"I can listen no longer in silence. I must speak to you by such means as are within my reach. You pierce my soul. I am half agony, half hope. Tell me not that I am too late, that such precious feelings are gone forever. I offer myself to you again with a heart even more your own than when you almost broke it, eight years and a half ago. Dare not say that man forgets sooner than woman, that his love has an earlier death. I have loved none but you. Unjust I may have been, weak and resentful I have been, but never inconstant. You alone brought me to Bath. For you alone, I think and plan. Have you not seen this? Can you fail to have understood my wishes? I had not waited even these ten days, could I have read your feelings, as I think you must have penetrated mine. I can hardly write. I am every instant hearing something which overpowers me. You sink your voice, but I can distinguish the tones of that voice when they would be lost on others. Too good, too excellent creature! You do us justice, indeed. You do believe that there is true attachment and constancy among men. Believe it to be most fervent, most undeviating, in
F.W.
I must go, uncertain of my fate; but I shall return hither, or follow your party, as soon as possible. A word, a look, will be enough to decide whether I enter your father's house this evening or never."
Après une telle lettre, il faut quelques secondes pour se remettre de ses émotions mais Anne ne perd pas de temps et va trouver Frederick pour accepter sa demande et, cette fois, rien ni personne ne la fera changer d'avis. Les deux amoureux peuvent enfin se parler ouvertement et Frederick révèle le conflit intérieur qui l'a habité :
"'Here,' said he, 'ended the worst of my state; for now I could at least put myself in the way of happiness, I could exert myself; I could do something. But to be waiting so long in inaction, and waiting only for evil, had been dreadful. Within the first five minutes I said, "I will be at Bath on Wednesday," and I was. Was it unpardonable to think it worth my while to come? and to arrive with some degree of hope? You were single. It was possible that you might retain the feelings of the past, as I did; and one encouragement happened to be mine. I could never doubt that you would be loved and sought by others, but I knew to a certainty that you had refused one man at least, of better pretensions than myself; and I could not help often saying, "Was this for me?"'"
Et Mr Elliot dans tout ça ? Et bien l'on apprend que ses intentions étaient plus que douteuses... Rien d'étonnant à ça, nous n'avions pas encore notre scoundrel !
"The news of his cousin Anne's engagement burst on Mr Elliot most unexpectedly. It deranged his best plan of domestic happiness, his best hope of keeping Sir Walter single by the watchfulness which a son-in-law's rights would have given. But, though discomfited and disappointed, he could still do something for his own interest and his own enjoyment. He soon quitted Bath; and on Mrs Clay's quitting it soon afterwards, and being next heard of as established under his protection in London, it was evident how double a game he had been playing, and how determined he was to save himself from being cut out by one artful woman at least."
Dans ce compte-rendu de la réaction de Mr Elliot, Jane Austen révèle la froideur calculatrice du personnage qui l'oppose à la rancune passionnée du capitaine Wentworth. Alors que, malgré ses ressentiments, Wentworth se préoccupe d'Anne, ne peut cacher son estime pour elle, Elliot fait ses petits calculs afin d'arriver à ses fins. Son but premier était de s'assurer l'héritage du titre de baronnet en empêchant Sir Elliot de se remarier et Anne n'était pour lui qu'un moyen agréable d'y parvenir. Puisqu'elle lui est passée sous le nez, il installe Mrs Clay à Londres pour en faire sa maîtresse, une attitude très peu gentlemanlike ! Face à lui, Frederick Wentworth, gagne le coeur des lecteurs avec sa retenue qui dissimule mais ne peut cacher la passion qui l'anime, passion qui se dévoile finalement dans cette lettre enflammée.
Ci-dessus, deux extraits de la version de 2007 avec Sally Hawkins et Rupert Penry-Jones

Sanditon ou les bienveillantes manipulations de Sidney Parker
Jane Austen commença la rédaction de Sanditon, alors intitulé The Brothers, en 1817 mais, malade, ne put jamais aller plus loin que les onze premiers chapitres. Ce n'est que plus d'un siècle plus tard qu'il sera publié terminé par another lady. L'histoire commence quand Mr et Mrs Parker ont un accident près de la résidence des Heywood. La roue de leur voiture étant abîmée, ainsi que le pied de Mr Parker, ils se voient contraint d'abuser de l'hospitalité des Heywood pendant deux semaines. Alors, quand ils sont prêts pour le départ, ils proposent aux Heywood d'emmener leur fille aînée, Charlotte, à Sanditon avec eux pour y passer l'été. En effet, Mr Parker a pour ambition de transformer Sanditon en la prochaine station balnéaire à la mode et pour ça la présence de jeunes gens est nécessaire ! A Sanditon, Charlotte fait la connaissance de plusieurs personnages intriguants, de formidables sujets d'observation et Charlotte est douée pour observer. Il y a le cercle des Denham avec la matriarche, Lady Denham et ses neveux et nièces : Clara Brereton et Sir Edward Denham et sa soeur, Esther. Un certain mystère entoure la relation entre Sir Edward Denham et Clara Brereton. Selon Charlotte, puisque Sir Edward a déjà le titre, il essaie de s'attirer les faveurs de Clara qui, en tant que favorite de Lady Denham, pourrait se voir léguer une certaine quantité d'argent. Arrivent aussi les deux soeurs et le jeune frère de Mr Parker, tous plus hypocondriaques les uns que les autres. Puis Mrs Griffith, Miss Lambe et les deux Miss Beaufort établissent leurs quartiers d'été à Sanditon aussi. Miss Lambe est une jeune et riche héritière à la santé fragile et les Miss Beaufort sont à la recherche de bons partis. Mais surtout, le second frère de Mr Parker, Sidney Parker vient lui aussi à Sanditon, accompagné de deux amis : Henry Brudenall et Reginald Catton. Sa version est qu'il doit changer les idées de son ami Henry dont la cousine doit se marier dans les prochains jours alors qu'ils étaient amoureux depuis l'enfance. Bien vite, Charlotte s'aperçoit que Sidney Parker n'a pas son pareil pour diriger tout le petit monde qui l'entoure ! Que ce soit lors de leurs promenades, au salon de thé ou encore lors d'une escapade vers la ville voisine, Sidney Parker manipule tout son petit monde si subtilement que tous obéissent à ses ordres sans se rendre compte qu'ils sont devenus des marionnettes entre ses mains habiles. Mais Charlotte voit ce qu'il fait, il lui reste à comprendre ses raisons car celles-ci restent floues. Il lui dit vouloir le bien de son ami mais Charlotte se rend compte de ses mensonges car il ne raconte pas la même histoire à tout le monde... Il insiste apparemment pour que Henry passe du temps avec Clara. De son côté, celle-ci demande l'avis de Charlotte sur une éventuelle fuite que Charlotte imagine être avec Sir Edward. N'appréciant guère son caractère, mais ne voulant paraître grossière, elle se refuse à se prononcer.
Charlotte tombe sous le charme de Sidney mais se raisonne, pensant qu'elle ne peut intéresser un jeune homme de la ville comme lui et a le sentiment de n'être qu'un outil dans ses manipulations. Les intrigues de Sidney entretiennent les quiproquos jusqu'à ce que la vérité éclate enfin. Clara n'est autre que la cousine dont Henry Brudenall est éprise et c'est pour la voir qu'il est venu avec Sidney, et dans le même temps la convaincre de s'enfuir avec lui et de l'épouser avant qu'il ne parte pour les Indes. Charlotte se retrouve alors entraîné dans l'affaire, escorte Charlotte pour qu'elle retrouve Henry et doit attendre la soeur de celle-ci qui doit prendre sa place auprès de Lady Denham. Mais c'est Sir Edward qui se présente et qui avait lui-même prévu d'enlever Clara pour l'épouser, apparemment sans se préoccuper de son consentement. Quand Charlotte lui révèle toute l'affaire, il perd la raison et l'enlève à la place de Clara, lançant sa calèche au galop dans la campagne. Mais Charlotte garde son sang-froid, elle sait que les chevaux ne pourront conserver un tel rythme et elle sait quelque chose que Sir Edward ignore : il la ramène près de chez elle. Alors dès qu'elle croise une connaissance, elle se tire d'affaire en remerciant Sir Edward de l'avoir raccompagnée et rentre chez ses parents. L'histoire se conclue avec plusieurs mariages, celui de Henry et Clara de leur côté, ainsi que les fiançailles d'Arthur Parker et Miss Lambe et enfin, Sidney vient raconter toute la vérité à Charlotte et se déclarer car oui, il est vraiment amoureux d'elle. Et ce n'est pas seulement pour servir ses desseins qu'il recherchait sa compagnie, il s'agissait d'un intérêt sincère.
J'entre moins dans le détail pour Sanditon que pour les autres romans car la majorité du roman n'est pas de Jane Austen et cela ses ressent souvent même si cela ne vient pas gâcher la lecture et nous n'avons aucun moyen de savoir quelle tournure elle avait prévu pour son histoire. Sidney me fait l'effet d'une Emma au masculin, il dirige tout ses proches de main de maître et pense agir pour le bien de ceux qui l'entourent. Il semble aussi s'inspirer de Henry Tilney dans l'humeur, il est jovial et plein d'humour et c'est un personnage agréable à lire. Encore une fois, il s'oppose à une autre figure maculine, celle de Sir Edward. Sidney est calculateur et manipulateur et oeuvre dans le secret alors que Sir Edward n'agit pas jusqu'à ce qu'il éclate et révèle finalement un caractère stupide, impulsif qui le pousse sur un coup de tête à enlever une jeune fille sur laquelle, malgré les circonstances, il n'aura aucune emprise !

Pas de gentlemen sans scoundrels ?

Jane Austen confronte dans ses romans des caratères et des personnalités qui s'opposent et elle a bien raison car comment s'extasier devant ses gentlemen s'ils sont une norme. Ils ont besoin de ces scoundrels pour mettre l'accent sur leur personnalité extraordinaire ! Ainsi l'humour et le désintèressement sont des qualités qui opposent Henry Tilney à son père et son frère, ainsi qu'à John Thorpe. Edmund finit par dépasser ses illusions alors que Mr Crawford s'y perd. La fidélité à toute épreuve du colonel Brandon fait sa force face à la faiblesse de Willoughby sur ce terrain qui, dans une impasse, montre son vrai visage, dissimulé jusque là sous des sourires charmeurs tandis que dans une situation d'impasse, Edward confirme lui son sens de l'honneur. Sous ses dehors hautains, Mr Darcy est un personnage plein de bienveillance, tout comme son ami Mr Bingley, alors que Wickham, derrière tous ses sourires, se révèle mal intentionné. L'honnêteté est donc importante chez Jane Austen et c'est une qualité qu'elle met en avant chez le personnage de Mr Knightley en l'opposant à Frank Churchill. Ces deux personnages sont présentés comme des prétendants potentiels pour Emma et l'héroïne semble être du même avis que son auteure. Enfin, la passion du capitaine Wentworth, bien qu'il la bride et arrive à la dissimuler l'oppose à la froideur de Mr Elliot, froideur qu'il dissimule sous ses dehors mielleux.